Low Roar – Ross, ou de l’art du grain de sable

Si la voix de Rey Villalobos et le folk de son projet House Of Wolves vous brise le cœur, il y a des chances que la pop frissonnante de Ryan Karazija alias Low Roar provoque un même séisme au plus profond de vous avec Ross, son quatrième album.

© Konrad Cwik

Délocalisé du côté de Reykjavik, l’américain Ryan Karazija est depuis les débuts de Low Roar constamment tiraillé entre deux tentations, l’une plus électronique plus présente sur Once In A Long Long While (2017), son précédent album et l’autre plus folk ici sur Ross. Toutefois, comme souvent, les choses ne sont pas si simples chez Low Roar.

Il n’est pas rare que sa voix en falsetto navigue à vue entre ambient et post Rock dans une mélancolie habitée par l’urgence. Il faudra savoir aller piocher ici les merveilles à découvrir (I’ll Make You Feel, Empty House…). Malgré à un bouche à oreille assez flatteur autour de ses concerts, malgré une discographie exemplaire, Low Roar reste méconnu du tout venant amateur de frissons bienvenus. On ne s’explique pas la chose tant sa musique s’avère empathique et accueillante pour toute personne qui  se risquera avec délice à s’y frotter.  Les mots, les qualificatifs que l’on pourrait employer pour définir la musique de Low Roar ce seraient à la débotté sensuel, vibrant, émouvant. Ross est dans l’exact prolongement de Once In A Long Long While, peut-être plus varié dans ses structures, continuant à malaxer une matière électronique sans délaisser l’acoustique, parfois unissant les deux dans un même morceau. Se refusant à trop point de ligne claire, Low Roar et Ryan Karazija n’hésitent pas à mélanger les genres. I’ll make you Feel ressemble finalement à une forme étrange d’hymne americana 2.0, un peu comme si Sparklehorse rencontrait Warp sans pour autant jamais dans un folktronica trop prévisible.

la faute assurément à des arrangements superbes qui piochent aussi bien dans des synthétiseurs que du côté des cuivres. On entendra comme des réminiscences du Young Americans (1975) de David Bowie, un disque que j’ai toujours considéré comme un chef d’oeuvre de l’anglais pour cette capacité singulière à peindre une mélancolie et un tristesse lumineuses. Low Roar, c’est un peu cela aussi, un jeu des contraires. Ryan Karazija chante l’absence avec une belle présence qui remplit tous les vides. Il dit éminemment sensible sans se vautrer dans la sensiblerie.

Emotion + Pudeur = Frisson

Il suffit d’un grain de sable pour que l’équation s’émousse et se s’évapore.

 

Maximilian Hecker, vous vous souvenez de ce micro phénomène éphémère Indie Pop  ? L’allemand se perdait parfois dans sa règle de trois entre « pleurnicheries égoïstes » et lyrisme lacrymal juvénile quand il était parfois touché par la grâce. Un rien et tout l’univers est changé. Il en est ainsi de l’art, le plus petit composant, le plus anodin, le plus petit, l’infiniment minuscule suffit parfois à faire s’écrouler un édifice comme un Shame MacGowan un soir de fête (redondance). Rien de honteux à cela pour Hecker, même les plus grands s’y sont cassés les dents. L’alchimie ne prend pas toujours, supprimez un ingrédient, mettez-en trop ou pas assez et tout bascule. Ryan Karazija l’a bien compris, on l’imagine aisément soucieux de chaque détail, telle envolée de cordes, telle note de cuivre, tel tremblement dans la voix. Tout est savant calcul et en même temps expression de la spontanéité la plus immédiate.

222 est l’exemple qui devrait être donné à tout apprenti compositeur qui souhaiterait exprimer ses tréfonds avec lyrisme. Tout y est bien placé avec une retenue sans affectation. On n’a jamais l’impression d’entendre un chanteur qui s’écoute chanter avec ce contrepoint de ténor comme échappé d’un disque de Matt Elliott. Vous en connaissez sûrement beaucoup de ces voix bavardes qui n’écoutent que leurs nombrils. Ryan Karazija est ailleurs, à mi-chemin entre le creux de vos oreilles et l’intimité que l’on ne dévoile pas.

Ross est un disque précieux car déviant et pour le moins aventureux, des titres introspectifs qui spéculent sur les nuances, un disque dense pleins de petits détails, parfois flirtant avec l’académisme pour mieux, la seconde d’après, échapper à toutes les classifications. Il y a dans la musique de Low Roar cette aisance à la dérobade, à la navigation au juger, sans amer comme ces vieux marins qui se guidaient à la lueur des étoiles avec cette nonchalance de celui qui trace son chemin à l’aide de pointillés tout en poursuivant un but précis et assuré.

Il serait peut-être temps de donner à Low Roar et à Ryan Karazija une autre place que celle qu’il occupe actuellement, bien trop confidentielle, gardé comme un secret par une poignée d’entre vous. Il ne vous reste plus qu’à accepter l’invitation de l’américain exilé en Islande à pénétrer dans un univers singulier et attachant et se plonger dans le grand frisson.

Greg Bod

Low Roar – Ross
label : Tonequake Records
Sorti le 8 novembre 2019