… ou comment rater un film en partant d’un sujet pourtant universel, la crainte naturelle que ressentent les parents quand ils laissent leurs enfants à une tierce personne. Un véritable cas d’école…
« Mais savez-vous vraiment à qui vous confiez vos enfants ? » : une question terrifiante pour des millions de parents qui laissent leur chère progéniture à une nounou à peu près inconnue, et qui ne sont jamais totalement rassurés, surtout si la dite nounou est 1) étrangère 2) pauvre. Et donc un excellent sujet pour un thriller « universel » efficace et bien basique (c’est-à-dire s’adressant aux sentiments les plus élémentaires en nous).
N’ayant pas lu le livre de Leïla Slimani d’où est tiré ce Chanson Douce, paraît-il inspiré de faits divers américains – et dans notre société avide de vérité, ce ‘tiré de fais réels » est un gage de crédibilité, n’est-ce pas ? -, nous ne saurions dire si le film de Lucie Borleteau est médiocre parce qu’il est 1) mal écrit 2) mal mis en scène 3) mal interprété 4) les trois à la fois, ou s’il était de toute manière impossible de tirer du bon cinéma d’une telle source.
Toujours est-il que sur ce sujet en or, puisque générant automatiquement un profond mal-être, il est assez triste de proposer un film aussi ennuyeux et insignifiant que ce Chanson Douce : en posant depuis le début que la nounou est une psychopathe, et en ne nous offrant aucune évolution sensible des personnages durant l’heure et demi qui suit, que pensait donc faire Lucie Borleteau ? Evidemment, on débouche, après un long calvaire pour le spectateur réduit à passer le temps en lisant son portable ou en pensant à ses propres enfants, sur une fin terrifiante, plutôt bien réalisée avec un juste équilibre entre horreur pure et suggestion… mais il est bien trop tard pour que le spectateur ressente autre chose que du soulagement de voir enfin le film se terminer.
Il a un moment, au milieu de Chanson Douce, où se dessine pourtant la perspective d’un film beaucoup plus intéressant, qui ferait écho au chef d’oeuvre de Chabrol, la Cérémonie, et qui montrerait que la lutte des classes peut encore exister en 2019, et déboucher sur, littéralement, un bain de sang : d’un côté, des bobos atroces – Leila Beikhti et surtout Antoine Reinartz sont tous deux odieux, même si l’on peut se demander si les rendre aussi haïssables était la volonté de Borleteau -, de l’autre des « salauds de pauvres » complètement psychopathes – d’ailleurs ils ne savent pas nager et font caca dans la rue. Le couteau remplace le fusil de chasse de Chabrol, mais il y a quand même là l’idée de ce mépris, de cette haine de classe, qui est quand même une sacrée belle idée… qui nous semble apparaître plus par hasard que par la volonté des scénaristes et de la réalisatrice, et qui ne débouche donc sur pas grand-chose…
Certains, généreux, ont loué l’interprétation de Karin Viard, grande actrice française ici mal dirigée (aucune évolution dans son personnage, nous l’avons déjà dit…) et surtout mal filmée : ces plans de nudité frontale nous semblent honteux, humiliants même dans leur gratuité, si ce n’est pour montrer cruellement le vieillissement d’un corps féminin (le corps de Karin Viard est par ailleurs splendide, mais ce n’est pas sa beauté qui nous est montrée…) comme signe d’une exclusion des codes sociétaux actuellement en vigueur. Comme nous avons ici à la réalisation une femme, nous ne lui ferons pas de procès d’intention, et tablerons sur de la pure maladresse de sa part.
Chanson Douce est donc à éviter.
Eric Debarnot