Film d’animation singulier et admirable, J’ai Perdu mon Corps, propose une ode poétique à tous ceux qui continuent à avancer malgré leurs blessures.
Il n’est pas nécessaire de s’adapter longuement à l’étrange récit que propose J’ai perdu mon corps, au cours duquel une main tranchée dans un accident de travail va traverser la ville à la recherche de son propriétaire, dont un récit parallèle en flashbacks nous restitue son arrivée à cette catastrophe jubilatoire. La séquence d’ouverture, qui voit la main s’extraire du frigo où on la conserve, est en soi un programme qui séduit d’emblée, véritable acte de naissance où le membre prend acte de sa morphologie, et, avec une maladresse décroissante, étudie l’espace pour pouvoir organiser sa sortie.
Séquence muette proprement virtuose, cette ouverture (dans les deux sens du film, de l’espace et du récit) est à la hauteur du récit à venir, où l’animation allie le talent à une certaine forme de discrétion au service du détail, une délicatesse privilégiant les sentiments sur l’esbroufe.
L’odyssée de la main à travers la ville jouera de toutes les contraintes et de toutes les rencontres, convoquant un bestiaire aux intentions multiples (pigeon, chien, fourmis, et une attaque de rats particulièrement anxiogène) et un parcours d’obstacles, renouvelant la vision de chaque espace, des toits au métro, en passant par le périphérique ou une étape bienfaisante chez un nourrisson.
Le récit de Nawfel, celui d’un être perdu bien avant son anticipation se tend bien entendu vers un accident que le spectateur est amené à craindre à de multiples reprises. Mais ce qui le lie à l’autre aventure est avant tout un troisième flux, restitué en sépia, et entièrement dévoué aux souvenirs par les sens. L’ouïe, omniprésente dans les instants que l’enfants a enregistrés sur son magnétophone, et le toucher, bien évidemment, restituant toutes les sensations (le sable, l’eau, la dextérité pour attraper une mouche…) perdues et que la main esseulée va ré-expérimenter par elle-même. La quête de Nawfel procède sur le même principe des handicaps : il fait connaissance avec une jeune fille via un interphone, puis se présente à elle sans lui révéler son stratagème, avec une maladresse qu’il semble emporter avec lui dans toutes les situations de sa vie (dans son job, dans sa cohabitation avec son cousin, au bar…).
L’animation est ainsi admirablement mise au service dans ce tressage d’une superbe fluidité, où le surplomb progressif (sur la ville, sur les êtres) mène à une contemplation soulignée par une belle partition musicale et une possible maîtrise de son destin. La fin, suspendue dans tous les sens du termes, semble avoir quelques difficultés à faire prendre la greffe des différentes voies, laissant dans l’impasse un dénouement attendu. Mais ce saut dans le vide est aussi une belle forme d’audace, qui vient couronner un voyage singulier, ode poétique à ceux qui continuent, malgré les blessures, à aller de l’avant.
Sergent Pepper