N’est pas Ellroy qui veut, et Brooklyn Affairs, malgré une interprétation réjouissante de son réalisateur, Edward Norton, s’avère trop formaté pour vraiment perpétuer la grande tradition du genre…
Il faut bien reconnaître qu’on ne voit plus trop Edward Norton à l’écran, et que c’est regrettable. Le voir de retour dans un projet d’ampleur, à la fois à l’adaptation du roman de Lethem, à la réalisation et pour un premier rôle est plutôt réjouissant, d’autant que son film s’inscrit dans une tradition (le film noir, la reconstitution fidèle d’un genre comme d’une période on ne peut plus iconique) elle aussi un peu oubliée à Hollywood ces dernières années.
Étranges retrouvailles avec un casting très daté (Alec Baldwin, Willem Dafoe, Bruce Willis) pour une immersion immédiate dans un océan de clichés qui font le job : l’enquête au fil des bars, des boites d’allumettes, le doigt glissé dans de grandes affaires à dimension sociales, économiques et raciales, pour un portrait d’une New York en passe de raser ses taudis au profit d’investisseurs carnassiers.
L’exposition combine avec talent tous les ingrédients nécessaires : la présentation du syndrome de Tourette du protagoniste, la ténébreuse affaire dans laquelle il est embarqué et le rythme trépident d’une course poursuite funeste. Le portrait de Lionel et son handicap évite bien des écueils potentiels du cinéma US : non seulement, on en dose les symptômes pour pimenter les séquences de dialogues, mais ils permettent aussi un humour assez tendre sur le personnage. Surtout, cette composition avec le langage et ses déclinaisons par saillies fébriles entre assez vite en résonance avec le jazz qui inonde la surperbe BO de Wynton Marsalis, la bouche de Lionel devenant une sorte d’instrument qu’il ne contrôle pas. Cette idée sera largement exploitée lors de la plus belle séquence du film, où il assiste à un concert dans un club exacerbant ses symptômes pour un duo assez jouissif, avant une belle discussion avec le trompettiste au matin (Michael K. Williams, toujours aussi magnétique), qui lui explique être finalement assez proche de lui par son bouillonnement cérébral continu.
Malheureusement, ce nœud de musique et de fêlure ne fait le récit, qui aligne assez laborieusement les recettes usées jusqu’à la corde, les conversations très théâtrales et surprises à l’insu des personnages, les coupures de journaux opportunes et les déclarations poussives (Alec Baldwin en chantre du pouvoir fait vraiment du Shakespeare du pauvre). Le tout, qui plus est, au profit de révélations franchement peu haletantes, mélangeant le personnel et le politique avec des ficelles plutôt grossières. N’est pas Ellroy qui veut.
Ajoutons des ingrédients franchement dispensables (la poursuite finale dans l’immeuble, très toc), le fait qu’on prenne le spectateur pour un abruti (toute cette attente à propos du chapeau) et un personnage qui délaisse progressivement tous ses tics pour sauvegarder un héroïsme plus formaté, et le naufrage n’est pas loin.
Paradoxe amusant que ce portrait d’un personnage atteint du syndrome de Tourette : alors qu’il recelait un bon potentiel, un certain savoir-faire une sincérité indéniable, le film se retrouve handicapé par des saillies involontaires de formatage, qui viennent trop souvent entraver sa bonne marche.
Sergent Pepper