Une bonne idée de départ, une certaine audace au moins dans l’aspect visuel du film, mais au final, sans doute pas assez de talent pour que Ánimas soit une vraie réussite dans le genre difficile du fantastique mental.
Il y eut une époque bénie, à la fin des années 90, où le jeune cinéma espagnol s’attaqua avec virtuosité au « genre fantastique », qui s’enfonçait de l’autre coté de l’Atlantique dans le second degré, la dérision et la facilité, pour lui redonner de la rage, du mordant, de l’audace. Alejandro Amenábar fut sans doute le plus brillant réalisateur de cette jeune vague, lui qui osa offrir des perspectives différentes à des récits classiques dont on pensait avoir fait le tour, et proposer en outre un travail formel original. C’est clairement dans cette trajectoire que veulent s’inscrire Laura Alvea et Jose F. Otuño avec leur Ánimas, une production Netflix largement passée au dessous des radars au début de l’année. Le « pitch » de départ est audacieux, et ne devrait pas être dévoilé pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte progressive de la nature de l’intrigue et des personnages (le titre semble donner une piste, mais est finalement mensonger…). Le traitement du décor, de l’image – excessivement colorée – et du son – en particulier le décalage entre les voix et les sons environnants – traduisent une approche ambitieuse de création d’un univers mental, onirique, qui renouvelle agréablement les codes du « film de fantômes ».
Bref, tout irait pour le mieux pour nous garantir le plaisir d’un petit film fantastique intelligent, si, rapidement, écriture et mise en scène ne s’avéraient bien en dessous du niveau nécessaire pour que le principe – assez audacieux – du film puisse fonctionner. Cet univers, pour déroutant qu’il soit, manque tristement et de complexité et de profondeur, et ce ne sont pas quelques jolis idées de mouvements de caméra ou de montage qui suffisent à lui conférer la « magie » qui lui manque – et lui manquera désespérément jusqu’à la fin : souvenons-nous, pour citer le meilleur, de ce que Lynch réussissait à faire au début de Lost Highway avec un simple appartement moderne, sombre et désert, et désolons-nous de l’incapacité de Ortuño et Alvea à faire jamais naître vertige existentiel et terreur sourde à partir du décor pourtant a priori assez anxiogène de cet immeuble labyrinthique et dégradé dans lequel la quasi totalité de Ánimas est confiné.
Pire, sans doute, l’accumulation excessive de scènes d’angoisse, même si elles sont intelligemment nourries de références cinéphiliques, arrive à annihiler, justement, toute angoisse : puisque tout peut advenir, et que nulle logique interne ne supporte le récit, le spectateur se désintéresse peu à peu de ce qui arrive à des personnages qui, de plus, manquent cruellement de consistance. Et on en arrive ainsi, après avoir trouvé le temps un peu long, à une conclusion qui, pour être bien construite, maline dans ses résonances psychanalytiques comme dans son double-fond quasi-policier, nous laisse plutôt froid. A noter quand même une scène post-générique, qui nous offre joliment une explication / interprétation du film.
Finalement, Ánimas n’est rien d’autre qu’un projet séduisant, dont l’exécution incertaine noie peu à peu l’intérêt. N’est pas Lynch ou Cronenberg (deux génies des films mentaux / conceptuels…) qui veut, mais il est un peu triste que Alvea et Ortuño n’arrivent même pas à égaler Amenábar !
Eric Debarnot