Bonne nouvelle de Corée, voici Kingdom, une série qui semble de prime abord recycler les mécanismes des séries US à succès, mais transforme vigoureusement le tout, à la mode coréenne !
Oui, on peut être passionné par le cinéma coréen depuis presque 30 ans et n’avoir encore jamais regardé une série TV du pays du matin calme. Heureusement, Netflix est là pour nous aider à corriger cette lacune, et nous voilà devant ce Kingdom, à essayer de séparer le bon grain de l’ivraie. Ou plus exactement à reconnaître ce qui est ici intrinsèquement du « cinéma coréen » par rapport à ce qui ressemble quand même à du recyclage – ou, admettons le, peut-être même du détournement de grandes séries « globales », histoire de s’assurer un certain retour sur investissement. Car Kingdom est clairement un projet cher, une oeuvre située dans un contexte historique nécessitant costumes magnifiques et constructions grandioses, un vrai « grand spectacle » – a priori sans effets digitaux, au moins visibles, ce qui est rafraîchissant en soi -, qui nécessite donc une large adhésion populaire. C’est d’ailleurs sans doute là, dans un certain nombre de facilités dans le genre « humour asiatique bien lourd » que Kingdom aura peut-être fait le plein de téléspectateurs dans la région, mais rebutera bien des Occidentaux peu friands d’interprétation grimaçante et de personnages au burlesque primaire…
Il serait néanmoins dommage de ne pas supporter ces scories pour pouvoir jouir des nombreuses qualités d’une série qui revêt naturellement les caractéristiques du meilleur cinéma local en mélangeant effrontément terreur, gore, action et politique. Comme un arrangement improbable entre un Game of Thrones plus « réaliste », oui, oui… et un Walking Dead beaucoup plus sauvage, si l’on veut…
On a donc droit à une lutte acharnée et retorse pour le pouvoir, avec comme grands méchants un père ambitieux et surtout sa fille redoutable de duplicité derrière sa séduisante allure innocente, et du côté des « bons », un grand dadais à la noblesse et à la naïveté régulièrement ridicules. L’intelligence du scénario de Kingdom est de rendre ce conflit à la fois consistant et politiquement « actuel » en insistant sur l’incurie et le mépris de l’appareil politique et administratif du pays, et sur la situation horrifique du peuple coréen, terrorisé par le pouvoir de vie et de mort que ses dirigeants ont et exercent sur lui, et abandonné à la misère et à la famine.
Dans ce contexte violemment révoltant, l’éruption sauvage d’une épidémie transformant les gens en zombies assoiffés de sang prend du coup un sens beaucoup plus intéressant : la maladie est le résultat direct d’une manipulation de la famille royale, mais la « zombification » du monde renvoie aussi à une sorte de révolution radicale balayant l’édifice oppressant des classes sociales. Que l’on ait fait le choix ici de morts-vivants véloces, comme dans Dernier Train pour Busan, nous garantit en plus nombre de scènes de poursuite et de bataille rangée parfaitement spectaculaires, ce qui ne gâche rien !
L’oscillation entre scènes (voire épisodes entiers) dédiés aux machinations politiques et grands moments fantastiques ou d’action permet en outre à Kingdom de ne jamais nous lasser, et de se démarquer notablement de ses « modèles », prouvant encore une fois que le fameux « mélange de genres » coréen fonctionne aussi bien, même dans un contexte plus commercial.
Formellement splendide, Kingdom clôt sa première saison avec un dernier épisode particulièrement malin, mélangeant tension et surprise scénaristique aux lourdes conséquences. On attend la suite avec impatience !
Eric Debarnot