Après The Witch, Robert Eggers signe The Lighthouse et plonge le spectateur au cœur d’une fable gothique, à l’intérieur d’un oppressant phare des ténèbres, où tous les sens sont mis à l’épreuve.
The Lighthouse est un conte marin où la mythologie homérique et les légendes maritimes se mélangent salement à l’horrifique pour narrer l’aventure de deux hommes chargés de s’occuper d’un phare reculé (entièrement reconstruit pour le film), érigé sur une petite île mystérieuse de la Nouvelle-Angleterre en 1890.
Auteur de l’excellent The Witch en 2014, le scénariste et metteur en scène américain Robert Eggers, pour son second long métrage, pousse cette fois-ci encore plus loin le curseur de la radicalité. Le cinéaste opte ainsi pour une mise en scène en format carré 1:19.1, ultra-stylisée visuellement, et abondamment amplifiée au niveau des effets sonores (corne de brume du phare, cris rageurs de mouettes, vent, pluie). Un esthétisme pictural qui convoque notamment les films muets expressionnistes allemands (Robert Wiene, Friedrich Wilhelm Murnau, Paul Wegener, Fritz Lang notamment), et claustre d’entrée en huis clos les deux protagonistes dans un espace géographique et psychique d’enfermements nuisibles.
Le réalisateur livre un flm sensoriel sous la forme d’un cauchemar éveillé particulièrement salé, submergé par une photographie en pellicule 35mm noir et blanc – obtenue grâce à des filtres conçus spécialement pour retranscrire le grain particulier des œuvres cinématographiques utilisé pendant les années 30.
Une œuvre à la fois grotesque, vulgaire (rots, pets, urine) et littéralement terrifiante (hallucinations) de par sa narration étouffante, avec une tension ambiante qui ne cesse d’aller crescendo tout au long du récit avec ces deux marauds imprégnés de pulsions (sexuelles, alcooliques).
The Lighthouse est un long métrage poisseux et organique, illustré avec maestria par l’impressionnante incarnation de Willem Dafoe (un vieux loup de mer autoritaire, grossier et flatulent) et de Robert Pattinson (un novice érotiquement obsédé par une sirène), au cœur de la tempête sous des crânes. Une odyssée mentale intense en forme de combat de coqs (sorte d’Abel et Caïn) aux confins du fantastique, comme une allégorie macabre des États-Unis, où la nostalgie de l’American Dream n’aurait de cesse de s’échouer contre les rochers d’une sombre réalité, loin de la porte du paradis.
The Lighthouse s’empare donc du spectateur sans subtilité pour lui offrir une véritable expérience cinématographique, viscérale, charnelle et peu commune. Un voyage insulaire apocalyptique vers la folie la plus obscure, celle des hommes. Hallucinant. Violent. Captivant.
Sébastien Boully