Tout le monde n’adhérera pas au cinéma de Valérie Donzelli, dont la bizarrerie un peu foutraque convaincra plus les rêveurs, mais Notre Dame nous parle, et plutôt bien, de nous et de notre époque.
Notre Dame se passe clairement dans un monde parallèle au nôtre : le climat est complètement déréglé, puisqu’il fait chaud à Noël, mais de soudaines bourrasques de neige sont à redouter, les pics de pollution sont de plus en plus élevés et nombreux, et l’agressivité des Parisiens a elle aussi atteint des sommets, puisque leur nouvelle occupation est de se distribuer des gifles dans la rue. Les cathos intégristes manifestent à la moindre verge dressée, une famille syrienne campe sur le trottoir en face de chez vous, et Mme le Maire de Paris est la reine des chantiers improbables et jamais terminés. Et puis Notre-Dame n’a jamais brûlé : rien que de très absurde, à moins que l’on ne soit ici dans une uchronie, non ?
Valérie Donzelli vit clairement dans une réalité alternative : dans son univers – dans sa tête ? – Jacques Demy est une référence universelle, un scénario n’a nul besoin d’être logique, on a le droit de mélanger les genres et de réaliser un film qui ne viserait qu’à la légèreté. Et il y aurait peut-être même des spectateurs qui viendraient voir ce film et paieraient pour ça. Pur délire…
Filmé avant le dramatique incendie de la cathédrale, co-scénarisé par un professionnel pour éviter de partir vraiment dans le n’importe quoi (encore que…), Notre Dame nous parle bel et bien de nous – en plus de nous parler de Valérie Donzelli, bien sûr : de notre difficulté à renoncer à ce que nous étions pour découvrir ce que nous pouvons être, mais aussi de la difficulté à boucler nos fins de mois, dans un univers professionnel où abondent les « gros cons ». De notre facilité à tomber amoureux mais de l’impossibilité de ne plus aimer, contre toute raison. De la difficulté à construire en dépit de toutes les contraintes qui s’accumulent sur nous, et de la place de l’échec dans nos vies souvent dépassées par les événements. Mais encore de l’architecture, de l’Art, et de la ville, ce qui n’est pas « du luxe », puisque nous devons vivre au milieu de tout cela.
https://youtu.be/5el3BUEzbsg
Dans Notre Dame, les maquettes sont transportées directement à la Mairie de Paris par un ouragan taquin, on peut avoir un ventre plat alors qu’on est enceinte de six mois, et le lendemain matin se retrouver énorme. On osera aussi plaider l’ouverture d’esprit dans une cour de justice sans être avocat – comme au Cinéma, non ? – mais on récoltera de la prison ferme pour ça – comme dans notre monde réel à nous, si peu tolérant envers les trublions.
Dans la salle de cinéma, pas très remplie, on observe des réactions diverses et variées devant Notre Dame, certains s’ennuient, d’autres quittent la salle, irrités, et enfin quelques uns sont ravis, rigolent et versent leur petite larme, alternativement. Ceux-là sont sans doute les rêveurs, qui aimeraient vivre dans le monde de Notre Dame. Sans réaliser qu’ils y sont déjà.
Eric Debarnot