The Schizophonics est sans doute actuellement le groupe de garage le plus spectaculaire en concert. Le nouvel album de ces rockeurs de San Diego, People in the Sky, rend enfin honneur à leur talent.
Qui a eu la chance de déjà voir sur scène les Schizophonics, c’est à dire Pat Beers à la guitare et au chant et son épouse Lety à la batterie (avec le soutien d’un bassiste plus ou moins secondaire) sait qu’il est difficile de trouver une expression plus parfaite et plus intense du rock garage. Sur le beat infernal de Lety, Pat se démène comme Iggy Pop quand il avait 20 ans, joue de la guitare comme Hendrix – souvent en n’utilisant que sa main gauche sur le manche ! -, et chante comme James Brown. Pour tout dire, on croit rêver. Il n’y a qu’une faiblesse dans tout cela, mais elle est de taille, les chansons : banales, impossibles à mémoriser, elles empêchent le groupe de prétendre à la grandeur à laquelle l’énergie démentielle et le talent l’instrumentiste de Pat lui permettrait de prétendre. Sauf que, cette fois, avec la parution de ce People in the Sky, il pourrait bien que ce reproche récurrent adressés aux Californiens soit une chose du passé !
Car People in the Sky est un bon album. Enfin ! C’est l’album bien écrit, bien produit que The Schizophonics aurait dû nous offrir depuis longtemps, celui qu’on écoutera plus d’une fois, et pas seulement pour s’échauffer avant le prochain passage du groupe sur les scènes françaises. Quelque part entre les Plimsouls et les Fleshtones, avec une bonne grosse louche de soul, voici 12 chansons qui nous ramènent à l’époque de la première résurgence du rock garage aux USA, au début des eighties, dans le sillage du punk rock. Finalement assez peu « psyché » (la pochette en noir et blanc avertit bien sur le fait qu’on ne sera pas ici dans le monde des rêves colorés !), et plutôt intransigeant. Et bon dieu, que c’est bon ! C’est hargneux, rugueux, c’est même furieux par instants, mais ça n’oublie jamais de nous proposer des refrains amicaux, des gimmicks bruyants qui donnent envie de brailler en chœur. Et bien sûr ces fameux solos de guitares incandescents qui restent la signature unique de Pat.
Something’s got to Give est – presque – cet hymne consensuel dont le groupe a toujours eu besoin. Steely Eyed Lady nous rappelle que le Rock le plus révolté est né dans la Motor City à la fin des années 60. People in the Sky (qui donne donc son titre à l’album…) est le morceau le plus ambitieux, complexe comme on ne pensait pas les Schizophonics capables d’un écrire un. Mais juste après, The One I Want nous ramène aux basiques avec son riff simpliste, et ses ooh ooh oohooh. Battle line a presque un refrain pop sixties classique, avant que la guitare sauvage n’impose une poussée hystérique. Long Way to Go est une tuerie sans pitié qui célèbre les fondamentaux du rythm and blues, le vrai, et séparera les novices de ceux qui « savent » vraiment. Like a Mommy accélère encore le rythme et s’affiche en irrésistible rockabilly bas du front. Down and Out retrouve le savoir-faire des jeunes Kinks…
Bon, People in the Sky n’est pas le disque de l’année, peut-être même pas celui du mois. Vous ne pourrez pas l’écouter chez vous sans affoler le chat et aggraver vos relations de voisinage. Vous ne pourrez pas l’écouter en voiture si vous ne voulez pas renverser une dizaine de trottinettes aventureuses. Vous ne pourrez pas draguer dessus, ni briller en société en le mentionnant. Vous ne vous ferez pas de nouveaux amis en le recommandant autour de vous. Mais cet album vous tiendra chaud dans la nuit d’hiver, quand « quelque chose aura fini par lâcher », et que les cris et les guitares électriques seront à nouveau la seule manière de donner un sens à votre vie. Ça, je vous le garantis : demandez une bière au comptoir, poussez la porte du club où Pat et Leti jouent ce soir là, et commencez à sauter dans tous les sens. Le bonheur, c’est beaucoup plus simple que l’on essaie de vous faire croire.
Eric Debarnot