À la faveur de ce top 2010-2019, il apparaît que la trilogie Vernon Subutex de Virginie Despentes publiée entre 2015 et 2017 est sans doute ce que l’on a fait de mieux en matière de littérature au cours de la décennie écoulée. Et si vous n’avez pas encore dévoré les aventures de cet ancien disquaire parisien fauché, alors c’est le moment ou jamais !
Vernon Subutex de Virginie Despentes (Grasset, 2016-2018)
Pour ce roman-fleuve, Virginie Despentes, l’ex-punk sur laquelle toute la société bien-pensante vomissait a été comparée ni plus ni moins qu’à Balzac ! Ce n’est pas idiot, puisque Vernon Subutex nous offre une tranche bien saignante de la société française – parisienne plutôt – avec une précision et une justesse stupéfiantes. Mais Vernon Subutex, c’est avant tout l’un des plus grands livres « Rock » jamais écrit, qui parle directement au cœur de tous ceux pour qui la Musique est plus qu’un simple divertissement : une manière d’appréhender le monde.
Ça raconte Sarah de Pauline Dellabroy-Allard (Les Editions de Minuit, 2018)
Ça raconte surtout un amour universel. Celui de la passion qui prend possession du corps et de l’esprit.
La narratrice aime un homme, a un enfant avec lui. Puis, un jour, elle rencontre Sarah. Sarah qui fait flancher son cœur. Ensemble, elles explorent leurs corps. C’est suave, tendre, follement passionné. Puis comme les histoires d’amour finissent mal, en général, celle-ci n’échappe pas à la règle. L’amoureuse éconduite perd alors goût à la vie. Elle s’enfuit pour oublier. Abandonne mari et enfant pour se retrouver. A Trieste, aux confins de l’Italie et de la Slovénie, elle oublie Paris, et l’amour perdu. Se perd dans les ruelles de cette ville étonnante. Comme un voyage initiatique. Lire ce livre vous donnera envie de découvrir Trieste, d’aimer cette ville. Et d’aimer tout court. Voluptueusement et intensément. Premier roman d’une jeune auteure à suivre lors de la prochaine décennie !
La Maladroite d’Alexandre Seurat (Éditions du Rouergue – 2017)
En 2015 paraissait le premier roman d’Alexandre Seurat, prof de lettres à Angers. Un récit qui frappe en plein cœur, tiré d’un fait-divers : le meurtre d’une enfant de huit ans sous les coups de ses parents. De manière clinique, Alexandre Seurat raconte le calvaire de la fillette, les non-dits, l’amour indéfectible d’une enfant pour ses bourreaux. Il raconte l’horreur de la maltraitance, la terreur d’une enfant et les failles d’un système scolaire et judiciaire. C’est bouleversant, parfois insoutenable, mais toujours pudique. Alexandre Seurat cisèle ses phrases avec retenue et précision. Avec La Maladroite, un grand auteur et un style sont nés. Depuis, le prof de lettres a sorti trois autres romans (L’Administrateur provisoire, Un Funambule et Petit frère), tout aussi saisissants. Des romans plus personnels mais qui savent toucher à l’universel.
2084 de Boualem Sansal (Gallimard – 2015)
2084 est peut-être un livre aussi important que le Procès ou que 1984, qui lui sert de référence et de matrice, mais la voix claire et juste de Boualem Sansal résonne-t-elle dans notre monde comme ont résonné celles de Kafka et d’Orwell ? On referme, en tous cas, ce livre superbe, envoûtant, qu’on a dévoré à la même vitesse qu’un polar américain, avec un sentiment de désespoir profond. On va appeler ça une lecture indispensable.
Chanson douce de Leila Slimani (Gallimard – 2016)
Le prix Goncourt de l’an passé aura, pour moi, marqué la décennie sur deux points : d’abord, les prestigieux prix littéraires osent enfin récompenser un livre résolument contemporain, qui préfère ausculter les maux de notre société actuelle en totale remise en question, plutôt qu’un auteur qui se regarde écrire. Au delà du fait divers glauque, la voix de Leïla Slimani évoque brillamment toutes les contradictions humaines, nourries des turpitudes d’un monde en déroute. Exceptionnel, tout comme l’auteur et cette nouvelle génération à forte identité.
Le lambeau de Philippe Lançon (Gallimard – 2018)
Autre roman fort d’un monde en déroute : Le lambeau résume finalement de manière magnifique une décennie marqué par les peurs. Terrorisme, fracture sociale, peur de l’autre : comment l’homme peut composer dans une société qui devient de plus en plus anxiogène ? Rescapé de la tuerie de Charlie Hebdo, la plume de Philippe Lançon donne un semblant de réponse, sublime : l’amour, l’art, le pardon, la résilience… par bribes, par moments, l’homme peut (se) redonner espoir. Inoubliable témoignage d’un homme, d’un événement, d’une époque, d’un monde.
Le cas Sneijder de Jean-Paul Dubois (L’olivier – 2011)
Paul Sneijder a failli perdre la vie dans un accident rare d’ascenseur. Sa fille a eu moins de chance que lui. Depuis ce drame, sa vie est bouleversée, une grande mélancolie s’est emparée de lui et sa façon d’envisager l’existence a quelque peu évolué. Roman triste et piquant à la fois, mélancolique et grinçant, en cela, « Le cas Sneijder » est un pur roman de Jean-Paul Dubois. Avec une écriture toujours simple et précise, qui n’en fait jamais des tonnes, l’auteur de Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon va à l’essentiel, nous offrant une jolie parabole sur le rôle des ascenseurs dans notre vie moderne et prouve depuis Une vie française qu’il est e reste un de nos écrivains favoris.
La Théorie de l’Information d’Aurélien Bellanger (Gallimard, 2012)
Le premier roman d’Aurélien Bellanger se présente comme portrait déguisé de la carrière de Xavier Niel, le patron de Free. Ce livre raconte le destin d’un homme issu de la classe moyenne qui va construire petit à petit un véritable empire du numérique, en commençant tout d’abord par développer le fameux minitel rose. Mais à travers ce portrait plus ou moins romancé, c’est toute un pan de l’histoire récente de la France, celle des années 80 et 90, que nous raconte l’auteur. Ces années charnières qui ont permis de passer de la culture du Minitel à celle d’Internet, avec tous les changements sociaux, économiques et politiques que cela a pu induire pour tout le monde. Un roman aussi froid que fascinant mais en tout cas très ambitieux , entre étude sociologique et épopée balzacienne, pour un auteur qui poursuivra par la même veine avec L’Aménagement du territoire en 2014 ou encore Le Grand Paris en 2017.
Le sang et la mer de Gary Victor (Vents d’Ailleurs – 2010)
A la frontière du roman réaliste, de la tragédie antique et de la légende mythologique, dans un syncrétisme mal défini entre l’obscurantisme religieux et le vaudou renvoyant aux croyances ancestrales, Gary Victor a écrit, au féminin, un roman sur la misère, la crasse, la putréfaction, l’absence totale d’hygiène, la pauvreté, le dénuement absolu, l’inculture, la prostitution, la corruption, la spoliation, la violence, tout ce qui fait Port-au-Prince actuellement, capitale du premier pays noir à avoir obtenu son indépendance. Une histoire de sexe pleine de tendresse, une histoire de sexe débordante de sensualité. L’écriture de Gary Victor est d’une grande empathie, elle prend le lecteur par la main et l’emmène dans son monde avec douceur et tendresse même si la violence, le cynisme, la douleur et même la cruauté constituent le quotidien des héros de ce texte.
Toutes les choses de notre vie de Hwang Sok-yong (Philippe Picquer- 2016)
Hwang Sok-Yong veut raconter la vie des chiffonniers de Séoul qui, à l’image de ceux du Caire, vivent de l’exploitation des déchets de la grande ville. Il explique l’organisation très structurée qui régit l’attribution des zones à exploiter par chacun, gratteurs indépendants ou gratteurs sous contrat avec la municipalité, et le circuit de revente des différents produits récupérés qui finissent toujours par engraisser, au bout de la chaîne, les riches grossistes. Un grand livre politique, un plaidoyer pour un pays sous la botte d’un général, un plaidoyer pour un pays entraîné dans un mode de consommation féroce, un plaidoyer pour un pays où l’idéologie a été dévorée par la productivité, un pays où les êtres humains ne sont plus que des ventres à remplir pour le plus grand profit des producteurs industriels.
Les Top décennie des rédacteurs :
Delphine Blanchard
1. Ça raconte Sarah, de Pauline Dellabroy-Allard
2. Une semaine de vacances, de Christine Angot
3. La Maladroite, d’Alexandre Seurat
4. La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq
5. Vernon Subutex, de Virginie Despentes
6. Article 353 du code pénal, de Tanguy Viel
7. La Vie est brève et le désir sans fin, de Patrick Lapeyre
8. Les Furies, de Lauren Groff
9.My Absolute darling, de Gabriel Tallent
10. Les Morues, de Titiou Lecoq
Jean-François Lahorgue
Le Lambeau de Philippe Lançon
Chanson douce de Leila Slimani
Le cœur de l’Angleterre de Jonathan Coe
Vernon Subutex de Virginie Despentes
Amina de Wadji Mouawad
Freedom de Jonathan Franzen
Petite Poucette de Michel Serres
Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu
Sukkwan Island de David Vann
Le domaine de Jo Witek
Eric Debarnot
Vernon Subutex de Virginie Despentes
La Disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez
Eva de Simon Liberati
Jo Nesbo – Du sang sur la Glace de Jo Nesbo
2084 de Boualem Sansal
Une vérité si délicate de John Le Carré
1Q84 de Haruki Murakami
Limonov d’Emmanuel Carrère
Indignation de Philip Roth
La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq
Benoit Richard
Un Hiver à Paris de Jean-Philippe Blondel
La Théorie de l’Information d’Aurélien Bellanger
Le cas Sneijder de Jean-Paul Dubois
Visible la Nuit de Franck Maubert
Un Printemps 79 de Vincent Duluc
Lune captive dans un œil mort de Pascal Garnier
Requiem pour une République de Thomas Cantaloube
D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan
Nagasaki de Eric Faye
L’Herbe des Nuits de Patrick Modiano
Denis Billamboz
Le maître du bonzaï d’Antoine Buéno
La pluie ébahie de Mia Couto
Rue des voleurs de Mathias Enard
Retour à Salem d’Hélène Grimaud
Toutes les choses de notre vie de Hwang Sok-yong
Ma vie palpitante de Kim Ae-ran
Ma mémoire assassine de Kim Young-ha
By the rivers of the Babylon de Kei Miller
Têt-dure de Francesco Pittau
Le sang et la mer de Gary Victor