Venus de Hull, comme les regrettés Housemartins il y a plus de 30 ans, LIFE est sans doute, malheureusement, le plus grand groupe anglais contemporain à être encore largement ignoré à l’heure où le punk et le post-punk ont acquis une vraie reconnaissance.
On peut se désoler du fait que le Rock anglais soit désormais bien ancré dans la répétition des codes musicaux qu’il inventa, disons entre 1976 et 1985, au cours de cette fabuleuse décennie qui vit et le punk et la new wave renouveler fondamentalement les règles et les références musicales de notre génération. A l’inverse, on peut aussi admettre que la situation politique, économique et sociale – liste à laquelle il convient de rajouter désormais « environnementale » – est tellement désastreuse que la violence revendicatrice du punk et la noirceur charbonneuse et dépressive de ce qu’on nommait alors la cold wave paraissent encore plus logiquement d’actualité, ou plutôt à leur place aujourd’hui… Et du coup, on peut savourer la pléthore d’excellents albums méchamment énervés et combatifs, qui sont sortis en 2019.
LIFE viennent de Hull, ou plus exactement Kingston-Upon-Hull, petite ville du Nord-Ouest de l’Angleterre, qui apparut pour la première fois sur le radar des amoureux de bonne musique dans les années 80 avec les fabuleux Housemartins, groupe phare et insurpassable d’une pop punky nourrie à la Northern Soul, mais surtout d’obédience quasi marxiste dans ses textes (… oui, cela faisait encore un peu de sens à l’époque !). Comme leurs illustres aînés, LIFE ont déboulé avec une musique agressive mais aussi revendicative, qui n’oubliait pas pour autant de s’appuyer sur des mélodies immédiates : chez LIFE, la colère n’est certainement pas incompatible avec le plaisir !
Et en 2019, le groupe retente le coup avec un second album, A Picture Of Good Health, à la délicieuse pochette qui rappellera aux plus âgés d’entre nous les injonctions de notre bonne maman nous encourageant à bien « manger notre soupe », si bonne pour notre précieuse santé ! Et comme en 2017 avec leur premier, on ne peut malheureusement pas dire que, en dépit d’excellentes critiques de part et d’autre de la Manche, la popularité du groupe ait explosé… Et pourtant, si l’on repense à ce qu’on a écouté cette année, il n’est pas sûr que beaucoup de jeunes groupes, une fois passée la hype (nous pensons en particulier à la bulle spéculative ayant entouré Fontaines DC et The Murder Capital !), aient proposé une musique aussi excitante, à la fois tourmentée, bien écrite et féroce.
Première constatation, les textes se sont recentrés sur la vie quotidienne, émotionnelle, sentimentale de ces jeunes gens : avant de refaire le monde, il convient sans doute refaire sa vie… Half Pint Fatherhood frappera en plein plexus tous ceux qui, ayant à peine dépassé les 20 ans, ont déjà connu leur premier échec en tant que mari et père : qu’il le fasse sur un riff impeccable le rend encore plus touchant. Des titres comme les sanglants Moral Fibre ou Thoughts (au texte particulièrement terrible…) dépeignent lucidement mais non sans cruauté la débâcle morale d’une génération qui n’a plus grand-chose en quoi croire : avant de hurler contre les députés conservateurs opportunistes qui soutiennent un Brexit aux conséquences désastreuses pour la classe moyenne et pour les plus pauvres, avant de conspuer la bêtise criminelle d’un Trump conduisant la planète au désastre, LIFE a décidé de balayer devant son propre porte. Et cette lucidité les distingue aussi de leurs frères de révolte, ces Slaves ou ces IDLES qui comme eux, rêvent d’un monde plus ouvert, plus bienveillant que celui de nos politiciens et de nos chefs de grandes entreprises…
Musicalement, soulignons que le groupe a évolué significativement par rapport aux brûlots forcenés de leur début : non pas que la rage ait disparue, loin de là, mais le spectre musical de LIFE s’est élargi, rejoignant par instants la cohorte dite « post-punk » de notre époque – l’impressionnant Bum Hour, au tempo un (petit) peu plus mesuré, s’imposera pour beaucoup comme le plus BEAU titre du disque – ou allant chercher une efficacité rythmique terrassante dans l’incontournable krautrock (Excites Me). Cette palette plus vaste devrait logiquement permettre dans les mois qui viennent le groupe d’atteindre enfin cette plus large reconnaissance qui lui échappe encore.
N’attendons pas un troisième album, ou, pire encore, la séparation du groupe pour célébrer LIFE !
Eric Debarnot