Toute vie est-elle intéressante ? Non, évidemment. Mais quand elle est mise en scène et dessinée avec le talent et l’originalité que déploie Sanäa K dans son Silence des Etoiles, on se laisse bien volontiers séduire.
L’une des plaies de notre siècle, c’est le fait que, sous l’influence des réseaux sociaux, chacun d’entre nous pense que sa vie est intéressante, ou pire, peut être un spectacle. C’est une horrible banalité que de dire ça, et c’est sans doute encore pire de s’en plaindre, puisque nous participons tous peu ou prou à ce grand cirque. Sanäa K., comme nous tous, a donc son blog, sur lequel elle raconte de manière souvent drôle et parfois touchante sa vie de jeune femme « moderne », qui galère dans un Paris pas trop aimable, entre amies et amoureux, et tracas professionnels divers. Comme 99% de la population parisienne de sa génération, ce qui facilite évidemment l’empathie (d’ailleurs son blog est un succès !) mais rend également tout cela un peu… « ordinaire ».
Heureusement, Sanäa peint et dessine, et, là, ça change quand même à peu près tout. Car son style graphique, coloré, simple et précis, curieusement à la fois naïf et réaliste, fait mouche. Du coup, on peut lire sa première BD, « le Silence des Etoiles » en ronchonnant sur l’absence d’un propos réellement profond : son mec était un salopard, et quand il l’a quitté de manière particulièrement lâche, elle a mis un an à s’en remettre, voilà à peu près, non seulement le « pitch » du livre, mais en fait la totalité de son scénario. On peut au contraire le savourer lentement, en prenant le temps d’admirer ces « petites cases » tellement remplies d’informations sur la vie que nous menons (les disques que nous écoutons, les livres que nous lisons, les produits que nous achetons au supermarché, les plats que nous mangeons, etc. etc.) qu’elles en sont régulièrement fascinantes. Et vraiment délicieuses.
Et si « la Vérité profonde » du « Silence des Etoiles » n’était pas dans son introduction cosmique, sa conclusion mélancolique, ses états d’âmes un peu triviaux, mais au contraire dans toutes ces « choses » qui constituent finalement, non pas le décor neutre et passe-partout d’une vie au XXIè siècle, mais bien son essence ?
Eric Debarnot