Après plusieurs années d’office comme groupe live de l’omniprésent Anderson.Paak, les Free Nationals travaillent à leur émancipation. Avec une large gamme d’invités de marque, ces héritiers de la funk à l’ancienne proposent une musique nette et sans bavure.
Estampillé « Free Nationals »
La dialectique entre le collectif et l’individuel propose des trajectoires intéressantes. James Brown et Beyonce ont rapidement délaissé les Famous Flames et les Destiny’s Child pour établir leur carrière solo, alors que des groupes comme The Roots et plus récemment Phony Ppl gardent l’expression la plus noble du partage musical. Le cas des Free Nationals est un entre-deux. Cette bande de musiciens, dont Anderson.Paak est un membre fondateur, fait ses armes en devenant le groupe attitré d’un bar à Hollywood. Là, ils s’ancrent dans le paysage musical et grandissent en symbiose. Cependant, l’éclosion d’Anderson.Paak relègue progressivement le reste des compères au second plan. L’alchimie musicale demeure inchangée, en témoigne leur Tiny Desk Concert qui reste le plus regardé à ce jour (43 millions de vues au moment où cet article est écrit), mais c’est le chanteur/batteur qui s’octroie la part du lion.
Pas surprenant que les autres larrons cherchent leur propre chemin : Jose Rios à la guitare, Ron Avant aux claviers, Kelsey Gonzales à la basse et Callum Connor à la batterie. Je ne peux m’empêcher de penser aux Headhunters de Herbie Hancock qui tournent encore en leur nom propre. Et justement, il est bien question de nom et de marqueur identitaire sur cet album. Si le titre éponyme n’était pas assez évocateur, c’était sans compter la speakerine qui saupoudre les morceaux d’un « Free Nationals » suave, histoire de bien marquer le coup.
La galaxie rétro-funk
Fidèles à leur vocation première, ces Free Nationals s’entourent donc d’invités de choix qu’ils gratifient d’un accompagnement taillé sur mesure. Le groove lancinant de Daniel Caesar (Beauty & Essex), les chœurs et les mélodies éthérées de Kahdja Bonet (On Sight), l’atmosphère mystérieuse de Chronixx (Eternal Light): chacun des morceaux aurait pu figurer sur l’album de ces artistes invités tant les Free Nationals parviennent à leur proposer une musique en phase avec leur univers musical. En se faisant une excellente plateforme pour cette diversité, ils confirment leur talent de groupe.
Dans le même temps, le choix des collaborations n’a pas été laissé au hasard. Les invités appartiennent en majorité à cette galaxie rétro-funk qui caractérise les Free Nationals. Kali Uchis et Syd avec leur neo-soul contemporaine (Time et Shibuya), Shafiq Husayn et sa soul obscure (Obituaries), même T.I., autoproclamé roi du hip hop « dirty South » (Cut Me a Break). En regroupant ces artistes, les Free Nationals proposent un panel cohérent, à la manière d’une cartographie musicale.
Les morceaux sont bien léchés, courts et sans fioritures. Si cette approche franche crée un ensemble cohérent et facile d’écoute, on aurait volontiers demandé du rab pour Lester Diamond, véritable pépite instrumentale au croisement du groove et de la dance. C’est peut-être pour le meilleur. Mieux vaut rester sur sa faim que de se gaver, surtout lorsqu’il s’agit d’une musique aussi sucrée. Une belle entrée en matière pour ces musiciens ultérieurement cantonnés à l’arrière-scène.
Willy KOKOLO