Nouvel ouvrage de référence pour qui s’intéresse aux nouvelles formes culturelles et à ce qu’elles disent sur nous, le dernier livre de chez Playlist Society, réfléchissant sur les thèmes de la série The Leftovers, est une lecture aussi stimulante que (légèrement) frustrante.
Même si les cinéphiles que nous sommes rechignent à l’admettre, la « Série TV » contemporaine est bel et bien devenu un Art rivalisant – sinon encore en qualité artistique – mais tout au moins en importance dans la vie des gens (oui !) dans peine avec le Cinéma. On peut même pousser l’argument une étape plus loin en affirmant que, à la fois moins embarrassée par les ambitions artistiques de ses « auteurs » et moins paralysée par des enjeux financiers de ses producteurs, enjeux qui ont peu à peu pris le pas sur les autres considérations, la Série TV contemporaine s’est emparée de thèmes actuels plus vivaces. Et / ou se permet un travail de fond sur le « sens » que peu de films du XXIe siècle semblent avoir le courage de faire…
Il est donc triste de voir la pauvreté – en quantité comme en quantité – de la critique « institutionnelle » sur un Art aussi nouveau, aussi fécond, aussi décalé aussi vis à vis de l’appareil analytique développé autour du Cinéma traditionnel. Et il est d’autant plus satisfaisant de constater qu’une jeune maison dynamique comme Playlist Society sort un essai comme ce The Leftovers – Le Troisième Côté du Miroir, s’attaquant à l’exploration des thèmes de la fameuse série de Damon Lindelof… qui se prête évidemment parfaitement à un tel exercice de par sa complexité et la confusion qu’elle a pu créé dans l’esprit de ses téléspectateurs, qu’ils soient fans ou réfractaires…
Sarah Hatchuel est professeure en études audiovisuelles et a déjà écrit sur les séries télévisées, tandis que Pacôme Thiellement est un écrivain (et vidéaste) ayant déjà publié des ouvrages sur Lost et sur Twin Peaks : l’un des intérêts de ce Troisième Côté du Miroir est bien entendu d’avoir été écrit à quatre mains, et d’être peuplé d’intuitions – car The Leftovers offre très peu de certitudes – qui n’ont pu naître que dans l’échange entre ses deux auteurs, et la mise en commun de connaissances finalement assez disparates. Ainsi, les passages les plus excitants du livre sont ceux dissertant sur l’ismaélisme et l’Ordre des Assassins comme référence à « l’Internationale des Assassins » de la série, ou au fonctionnement de la fin dans les pièces de Shakespeare comme modèle ayant servi à la construction des derniers épisodes de « The Leftovers » !
A l’inverse, là où Hatchuel et Thiellement patinent littéralement, c’est pour dégager de vrais thèmes dans les 3 saisons, chacune partant en fait dans une direction différente, et en particulier la dernière, dont l’absurdité frôle le processus d’auto-destruction. Même en cherchant à toit prix des correspondances, des échos entre les scènes, la mise à jour d’un véritable sens « profond », « caché », s’avère extrêmement difficile (ce qui exactement ce que les contempteurs du travail de Lindelof lui reprochent), et cet échec – reconnu par les auteurs avec une grande honnêteté – frustrera forcément le lecteur à la recherche de « la lumière » dans ses pages. Mieux vaut donc se régaler de la mise en perspective de The Leftovers par rapport à Lost, dont on nous expliquera ici combien elle la complète, la corrige et la contredit à la fois… Et de réfléchir aux oppositions du travail de Lindelof vis à vis de celui de Lynch dans Twin Peaks ou dans Lost Highway…
Bref, même frustrant de par son sujet lui-même (ceux qui dénigrent la série peuvent très bien juger que l’impasse dans laquelle échoue régulièrement l’analyse des auteurs traduit surtout le manque de cohérence de la vision du show-runner…), « Le Troisième Côté du Miroir » est un ouvrage stimulant, qui nous montre la voie royale qui nous est ouverte par le développement exponentiel et accéléré de la Série. Nous n’avons pas fini d’y réfléchir !
Eric Debarnot