En ce début de décennie, les « Tops albums » sur la dizaine d’années passées fleurissent et offrent un panel assez similaire – et souvent juste – des albums qu’il fallait avoir écouté. Il en est pourtant un qui n’a pas – assez – eu les honneur des « Tops 10 », c’est le petit génie de l’Indie Pop: Sufjan Stevens. Carrie and Lowell est sorti en 2015 et prend tout le monde à contre-pied. Petit bijou de fragilité, où l’émotion affleure à chaque instants faisant de l’écoute de l’un des plus beaux albums de la décennie passée, une expérience unique.
La douleur est souvent une muse fertile.
La perte d’un être cher, le difficile moment d’une introspection, d’un repli sur soi, sur ses souvenirs, le début d’une aventure intérieure dangereuse.
C’est remonter à la surface des trésors enfouis depuis des siècles, se débattre contre un passé révolu qui te tire par les pieds pour t’amener au fond.
C’est regarder une part de soi mourir, la voir se décrocher de son présent et flotter au vent d’un oubli inexorable comme la feuille morte emportée au loin.
Sufjan Stevens prodige de l’Indie Pop Américaine, absent de la scène Rock depuis 2010 (Excepté un album de Christmas songs en 2012) revient et bouscule son public avec le très Electro et déroutant The Age of ADZ.
Celui dont les opus précédents (Illinois et Michigan) lui avaient apporté reconnaissance publique et critique, et assis son statut de petit génie de l’ Indie Folk, navigue dans l’expérimentation outrée et en oublie (presque) ses basiques.
C’est donc cinq ans après The Age of ADZ que Stevens revient caresser les oreilles de son public, mais cette fois avec un projet étrange, un disque sombre et mélancolique: Un album de deuil.
En 2012, Carrie sa mère meurt.
Carrie n’a pas été très présente dans la vie de Sufjan. C’est une ombre qui traverse l’enfance du gamin de Detroit, un fantôme qu’il n’approchera qu’épisodiquement.
Quelques séjours avec elle et Lowell ( Avec qui il fondera son label Asthmatic Kitty Records.) perdus dans les montagnes de l’Oregon et puis disparaît.
Carrie meurt d’un cancer après des années d’errance, après des années terribles de dépression, d’alcoolisme et une schizophrénie tapie dans l’ombre qu’elle tenta d’oublier entre les murs blancs de divers hôpitaux psychiatriques et des tonnes d’abrutisseurs chimiques.
Avec Carrie & Lowell Sufjan Stevens nous invite avec lui à la recherche de ce fantôme maternel, nous fait pénétrer l’intimité du malheur.
Il vient offrir sa tristesse, cette tristesse qu’il transforme en musique. Il vient offrir le cadeau d’une possible guérison, d’une catharsis salvatrice, de larmes amères coulant sur son papier à musique écrivant la plus belle des mélodie.
Il tente de retrouver les bribes d’une mère fugueuse, évanescente au détour de souvenirs fanés, jaunis comme la photo de Carrie et Lowell sur la pochette de l’album.
La voix se fait douce, caressante.
Stevens susurre, implore, comme l’enfant priant le soir, les jambes ballantes, au bord de son lit.
Les mélodies sont fragiles, cassantes comme le cristal, jouées délicatement à la guitare ou au piano.
Stevens se perd, se noie, reprend sa respiration, se retrouve, dans le cadre étroit d’un album.
Il se désincarne, se désintègre, se fait fantôme sachant pertinemment que les esprits ne parlent qu’aux esprits.
Il fait de la simplicité, la plus compliquée et la plus belle des mélodie.
Il l’envoie au plus haut des cieux, il l’envoie se perdre haut dans les nuages comme le dernier, le plus cher et le plus beau cadeau qu’il puisse faire à sa mère: Le baiser d’adieu.
Renaud ZBN