Slow Meadow, petit protégé des vétérans d’Hammock a sorti à l’automne dernier son troisième album, Happy Occident. Petite séance de rattrapage pour un disque ambient singulier et poétique.
C’est étrange parfois ce que peut provoquer un son ou une musique, on jurerait reconnaître un nuage dans le tremblement d’une voix, décoder des mots secrets dans une note de piano. C’est un peu cela que l’on ressent à l’écoute de la musique de l’américain Matthew Kidd alias Slow Meadow. Et ce n’est sûrement pas ce troisième album une fois encore édité sur le label de ses amis d’Hammock qui viendra contredire cette impression.
Délaissant un peu le caractère néoclassique de Slow Meadow (2015) et Costero (2017), Matthew Kidd teinte de plus d’électronique ses structures ambient sur Happy Occident. Ce qui n’empêche pas l’ensemble de nous porter vers des climats plus contemplatifs et ces onze plages ne sont finalement qu’un seul mouvement d’un voyage immobile et prometteur.
Il ne faudra pas venir chercher trop point de virtuosité, trop point d’énergie ou trop point de fièvre.La nature de la musique de Matthew Kidd prête à la contemplation. S’éloignant de ses modèles passés (Ludovico Einaudi, Max Richter, Stars Of The Lid et Hammock), Slow Meadow se renouvelle sans se renier, à commencer par l’émergence d’une voix sur Stellarum Fixarum qui ouvre Happy Occident dans des climats voisins de Bosque de Mi Mente (période No Sobreviviremos Otro Invierno) mixé à Tangerine Dream.
Dans ses moments les plus électroniques, Matthew Kidd rappelle les travaux de Keith Kenniff avec Helios. Happy Occident ressemble en bien des points à un disque de transition où l’artiste n’est qu’au début de ses recherches et n’a pas encore totalement entamé sa mue. Ce qui est à remarquer, au regard de ces trois albums de Slow Meadow, c’est que Matthew Kidd a choisi son camp. En Ambient, il y a un peu deux écoles finalement. Une plus tourné sur l’introversion, sur soi et sur l’organique, sur la torpeur et la noirceur. Slow Meadow ne s’inscrit pas dans ce registre, il choisit un chemin plus difficile, celui du plaisir de l’instant et de la quiétude. La quête est dangereuse, elle est faite de milles et un pièges et autres écueils. Un soupçon de trop de cordes et vous êtes mièvre, un poil de trop de nappes de synthés et vous tombez dans la facilité. Kidd, même si tout n’est pas totalement abouti ne se fourvoie jamais et ne tombe dans un lyrisme trop facile ou dans des mélodies béates. Avec une belle intelligence, il joue avec l’espace et glisse dans ses sons des multitudes de perspectives et d’effets bienvenus. Happy Occident est un album qui s’appréhende totalement au casque, pour preuve Artificial Algorythm qui malaxe avec malice notes de musique, son et jeux sur la stéréophonie.
Là où le disque pèche parfois un peu, c’est dans ses structures les plus apaisées où la musique de Matthew Kidd plus habillée d’électronique ne trouve pas encore totalement les ambiances pour nous convaincre. Sans doute que les humeurs mid tempo de Slow Meadow atteignent pleinement leur force quand elles sont teintées de néoclassique. Mais Matthew Kidd esquive vite cet instant de faiblesse sur un merveilleux Pareidolia plus proche des deux premiers disques, les cordes, le violoncelle en particulier, rappelle le meilleur de Gavin Bryars ou la beauté blanche de l’école lettone, Pēteris Vasks en particulier.
Happy Occident semble s’inspirer des travaux de cette école-là et plus largement la musique des anciens pays de l’est. Profitons de ce disque pour faire une petite digression (je suis friand des digressions dans les conversations, c’est souvent là que les propos les plus pertinents sortent comme une forme de décontraction de l’intelligence). Il y a bien des merveilles à découvrir dans la musique « minimale » des pays de l’est et il ne faudra pas se laisser ébloui par le seul Arvo Part, Pēteris Vasks, justement a sorti des œuvres qui n’ont rien à envier à son aîné. J’y reviendrai sans doute un jour.
Le minuscule Blink réintroduit la voix déformée de Matthew Kidd comme une comptine hantée et ressemble à une introduction à Helium Life Jacket. Matthew Kidd emploie le contraste dans l’évolution du disque, les miniatures servant de liaison et de faire-valoir à des pièces plus incarnées. Drifting Phonetics ranime encore les cordes avec une voix en contrechamp se perdant dans un écho. Comme si Slow Meadow ne savait trop comment utiliser le son d’une voix humaine, comme si l’envie était là d’intégrer une présence et un chant mais que l’on ne savait comment le faire. Comme si l’on craignait de perturber l’agencement harmonieux habituel. J’évoquais plus haut cette impression de disque de transition. Plus le disque avance et plus ce sentiment s’installe de manière tenace.
Dans ses formules nouvelles, Slow Meadow est un peu prudent, parfois même frileux, en résulte une impression de quelque chose de pas tout à fait abouti ou de pas totalement assumé. Dans ses choix plus courants chez lui, Matthew Kidd excelle et produit peut-être certaines de ses plus belles pièces, on ne pourra pas résister au frisson ressenti sur We Can Only Love Through Suffering; ce qui impose de facto une certaine indulgence face à Happy Occident. Le chemin peut être long parfois, explorer de nouveaux angles demande une endurance et une macération. Dans ses parties les plus équilibrées entre ancien et nouveau Slow Meadow, Matthew Kidd nous ravit avec un parfait mélange de textures électroniques et acoustiques, Liminal Animal aux circonvolutions savantes ou encore Fake Magic Is Real, véritable merveille qui évoquera sans doute à beaucoup les structures mixtes (entre électronique et classique) de Max Richter pour la B.O de Werk Ohne Autor (2018).
Happy Occident n’est pas vraiment un disque en demie-teinte mais bien plus un work in progress. Il en faut bien du courage à Matthew Kidd pour révéler au plus grand nombre ces étapes d’une quête encore inaboutie mais qui annonce de grands moments pour Slow Meadow.
Greg Bod