Ici-Même a décidé de donner une seconde vie à ce roman graphique publié en 2010 chez Dargaud. Une initiative plus que louable à une époque où les haines semblent ressurgir de tous les côtés.
Rocco et Nico souhaitent tourner un film sur le sort réservé aux homosexuels durant l’Italie des années 30. Leur seul témoin, âgé de 75 ans, est Antonio, dit Ninella. Mais le vieil homme n’est pas disposé à se livrer aussi facilement aux deux jeunes reporters, de peur sans doute de raviver des plaies pas vraiment cicatrisées… Ce huis-clos tendu va ainsi nous révéler, à travers le récit émouvant de Ninella, un pan méconnu de l’Histoire italienne : les centres de confinement pour homosexuels sous Mussolini.
Chacun sait que dans l’Allemagne nazie, les homosexuels étaient déportés. En Italie, ce n’est pas parce qu’on en parle pas – ou si peu – que la question a pour autant été éludée par Mussolini. Si celui-ci s’est opposé à l’introduction d’une législation homophobe, c’est paradoxalement parce que selon lui, « les Italiens étaient trop virils pour être homosexuels » ! Alors ceux qui se laissaient aller à leur penchant honteux, il a préféré les mettre à l’écart, discrètement, loin des tribunaux, sur une île au sud du pays, croyant circoncire le mal comme on cache la poussière sous le tapis… Ils n’étaient pas spécialement maltraités par leurs gardiens, mais les conditions de vie étaient rudimentaires, ils manquaient de tout et connaissaient souvent la faim…
Malgré toute la sincérité de la démarche des auteurs, on peut aussi ne pas être touché par l’histoire. Si les personnages peuvent être attachants et que l’histoire d’amour entre Ninella et Mimi est magnifiée par un romanesque que n’aurait pas renié Jean Genet, l’émotion ne sera pas forcément au rendez-vous. Est-ce dû au graphisme, certes loin d’être désagréable mais peut-être un brin trop esthétisant, au détriment de l’expressivité des personnages ? Est-ce dû à la retenue manifestée par les auteurs dans leur souci de ne pas trahir les propos du vieil homme et vis-à-vis de la responsabilité qui était la leur ? Et pourtant, du côté de la narration, rien à redire, cela se lit plutôt bien…
Reste l’intérêt historique d’un tel témoignage, grâce auquel on se rend compte que les gays italiens de cette époque avaient déjà une conscience claire de leur identité dans un contexte particulièrement hostile, où tout semblait se liguer contre eux, qu’il s’agisse du machisme ambiant, du catholicisme étouffant ou du fascisme réprimant…
Laurent Proudhon
Au pays des vrais hommes
Edition re-traduite et augmentée*
Scénario : Luca de Santis
Dessin : Sara Colaone
Editeur : Ici-même
176 pages – 26 €
Parution : 22 novembre 2019