Le Rock’n’Roll a bien des facettes, du plus vintage au plus novateur. Avec les Nuits de l’Alligator, il est possible de voyager à travers les styles, mais aussi les continents. Récit d’une nuit très agitée à la Maroquinerie…
Superbe affiche pour cette Nuit de l’Alligator à la Maroquinerie, alors que Paris s’arc-boute devant l’approche d’une nouvelle tempête. On est si bien dans le sous-sol de la Maro, à écouter du rock’n’roll, protégés par la magie de la musique et la chaleur de notre passion…
20h : on attaque la soirée du côté du Jura, avec cette vraie première parisienne pour le trio de Gliz, qui a bien évolué depuis ses débuts. Moins axée sur les (excellentes) mélodies de Cydalima, plus rentre-dedans et agressive, leur prestation live prouve que le groupe en a sous le pied. Dès In Limbo, la mayonnaise prend et le public de la Maro – heureusement déjà bien remplie – répond à l’énergie du groupe. Jeu scénique nerveux (entre la batterie spectaculaire de Julien et le tuba de Thomas qui permet une mise en scène inhabituelle, il y a de quoi se régaler), Florent qui descend dans le public faire monter la pression… il y a le juste relais visuel pour les chansons qui sonnent, logiquement, plus brut, plus raides. Bref, un beau set qui se termine sur une version bien énervée du Lion et devrait gagner au groupe de nouveaux fans.
20h55 : On traverse l’Atlantique pour aller aux sources du rock’n’roll avec Daddy Long Legs de Brooklyn (à ne pas confondre avec pas mal d’autres groupes qui ont choisi le nom de cette araignée aux longues pattes…) : à nouveau un trio, mais qui joue cette fois une musique ultra traditionnelle, entre boogie, blues et country. Brian Hurd a un look de croque-morts délicieux, mais une voix étonnante, et il joue de l’harmonica comme un dieu. Le batteur est un showman complet, régulièrement hilarant derrière ses cheveux longs, ses lunettes noires, et son kit minimaliste, qu’il frappe à l’aide d’une baguette et d’un seul maraca ! Le guitariste fait lui dans la sobriété et la retenue, c’est bien simple on dirait un… bassiste ! Le répertoire de Daddy Long Legs pourrait avoir été composé et joué à la fin des années 50… sauf que ce n’est pas certain qu’on jouait aussi énervé et aussi fort à l’époque ! Quand Brian s’empare lui aussi d’une guitare, ça se met même à déchirer les oreilles bien comme on aime. Bon, on est tellement dans les standards du Rock qu’il n’est nul besoin de connaître les morceaux pour chanter et danser… Et même démarrer un petit pogo des familles sur cette musique qui ne s’y prête pas forcément ! 45 minutes de plaisir faussement simple, mais qui claironne bien fort la vitalité de cette musique de pionniers, qui sonne aussi jeune et fraîche 60 ans plus tard…
22h00 : Qui n’a jamais vu King Khan en chair et en os peut s’attendre à un petit choc lorsqu’il déboule sur scène, annoncé par un quadra américain débonnaire qui s’avérera être Sean Wood, leader des Spits (on l’appelle donc Sean Spits !), un indien bedonnant vêtu seulement d’un slip moulant, d’un gilet en jean et d’une casquette de flic américain. Punk ! Ah oui, on allait oublier les inévitables lunettes noires et le – plus original – collier de dents !
King Khan – en fait un Canadien de Montréal, qui parle donc bien le Français – se produit en ce moment sous le joli nom de Louder than Death, originellement un projet commun avec Sean et d’autres musiciens, mais qui est perpétué désormais avec l’aide du redoutable combo bordelais Magnetix, qui va se révéler particulièrement efficace ce soir… Et spectaculaire, ce qui ne gâche rien ! Après quelques ennuis ‘mécaniques » avec ses fils et sa sangle, Fred Bourdil (ex-Shrines, le groupe précédent du Khan…) nous offrira, sans jamais cesser de sourire, un festival de basse, assorti de poses rock’n’roll immortelles. A la batterie, Agnès maintiendra le tempo forcené qu’il faut, tandis que Stéphane, avec un faux air de Captain Sensible avec son béret, fera pleuvoir sur nous un déluge de distorsion…
Ce n’est pas pour rien que le nom du membre des Damned surgit ici, car Louder than Death évoque franchement les débuts du punk anglais original circa 77 : un esprit potache réjouissant, des morceaux courts au rythme furieux, des paroles engagées, des vocaux vociférés et des mélodies accrocheuses s’appuyant sur des refrains-slogans facilement mémorisables que le public peut reprendre en chœur même si c’est la première fois qu’il entend la chanson (meilleur moment de la soirée pour nous, gueuler « Narcissists, they don’t exist » sur une chanson moquant les accros à l’image !)… le tout dans une ambiance de franche pagaille et de bonne rigolade (la sodomie d’une marionnette, d’entrée de jeu, montre qu’on ne se prend pas trop au sérieux sur scène !). Bon, pas de glaviots, c’est vrai, la mode est passée, mais une (gentille quand même) provocation du public, accusé d’être trop sage… surtout dans ses premiers rangs.
Car King Khan, outre son impressionnante présence physique, est très drôle, qu’il s’agisse de ses commentaires d’introduction des chansons (« celle-ci est sponsorisée par le coronavirus et Air B’n’B ») ou de ses interactions avec le public (il aura ainsi décidé que notre ami Robert est un échappé du Cirque fu Soleil !), et le côté bon enfant du set équilibre allègrement la virulence punk.
Sean est convoqué pour chanter quelques morceaux des Spits, ce qui est quand même très élégant, et bien dans l’esprit de King Khan, qui aidera aussi Diego, un enfant d’une douzaine d’années à réaliser un beau slamming ! Après nous avoir accusés de ne pas avoir l’esprit assez ouvert parce que nous sommes réticents à applaudir les « merveilleux nouveaux fascistes qui montent partout », King Khan termine son set d’une heure dix en nous laissant sur les rotules, transpirants et aspergés comme il se doit de liquides divers et variés.
Punk’s not dead !… comme on le répète comme un mantra tous les jours, et c’était bien réconfortant de voir ainsi réactivées les vérités profondes d’une rébellion joyeuse qui reste plus que jamais nécessaire.
Et c’est dans ce chaos bienfaisant se termine donc une Nuit de l’Alligator particulièrement roborative, qui nous a permis de parcourir un joli spectre musical en près de trois heures intensément rock’n’roll ! »
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Les musiciens de Gliz sur scène :
Florent Tissot – banjo / chant
Julien Michel – batterie / chœurs
Thomas Sabarly – tuba / chœurs
La setlist du concert de Gliz :
Devotion (Cydalima – 2019)
A Mess Is Gonna Come (Cydalima – 2019)
In Limbo (Cydalima – 2019)
King From Nowhere (Cydalima – 2019)
Fast Lane (Cydalima – 2019)
Cydalima (Cydalima – 2019)
The Lion (Cydalima – 2019)
Les musiciens de Daddy Long Legs :
Brian Hurd – vocals, harmonica, guitar
Josh Styles – drums, maraca
Murat Aktürk – guitar
Les musiciens de King Khan :
Arish Ahmad Khan – vocals
Agnès Lestorte – drums
Stéphane Loustalot – guitar
Fred Bourdil – bass guitar
+ Sean Spits – vocals
La setlist du concert de King Khan’s Louder Than Death
Born in 77 (Stop und Fick Dich – 2019)
Bedwetter
Chief Sleeps In Park (Stop und Fick Dich – 2019)
Erased World (Stop und Fick Dich – 2019)
Snot Queen (Stop und Fick Dich – 2019)
Long ‘n’ Wavy (Stop und Fick Dich – 2019)
Narcisist
Scum of the Moon (Stop und Fick Dich – 2019)
Leather Boy (Stop und Fick Dich – 2019)
Nuclear Bomb (The Spits cover)
I H8 Pussies (The Spits cover)
SK8 (The Spits cover)
Saturday Night (The Spits cover)
Tonight (The Spits cover)
Modern Frankenstein
Magpie Eyes
Strange Way
Al Capone
Stop und Fick Dich (Stop und Fick Dich – 2019)
Iron Titan
Baby Huey
Spicy Chicken (Stop und Fick Dich – 2019)
ABC in Old Berlin (Stop und Fick Dich – 2019)