Militantisme féministe et anti-capitalisme et punk hardcore, une recette explosive mais volatile au Point Ephémère le soir de la St Valentin…
Pour poursuivre nos discussions sur la dé-politisation (ou non…) du Rock en comparaison avec son niveau d’engagement dans les années 70, et sa tendance de plus en plus nette à succomber aux sirènes de l’entertainment à tout prix, ce soir au Point Ephémère, nous avons un parfait contre-exemple, avec Petrol Girls. Ce groupe austriaco-anglais et hardcore véhicule un discours politique et féministe particulièrement ferme, voire violent. Ce qui, on s’en doute, ségrégue forcement le public, tout le monde n’ayant pas forcément envie d’entendre les harangues de Ren Aldridge, la leader du groupe aux propos enflammés !
20h30 : Mais avant la polémique, nous avons droit à un démarrage de soirée plutôt dans le plaisir, avec un groupe parisien féminin officiant dans le punk rock “traditionnel”, Lush Rush. Cinq filles donc – ce qui nous fait deux guitares, une configuration toujours bien agréable pour nos oreilles avides d’électricité – visiblement très heureuses et un peu intimidées aussi d’assurer cette première partie dans un Point Ephémère déjà bien rempli… ça part sur les chapeaux de roue, ce qui nous permet d’apprécier en particulier la bonne voix d’Eva : avoir une chanteuse capable d’assurer dans le hurlement qui va bien mais aussi dans le chant puissant, c’est clairement un atout pour le groupe. Les deux guitares font leur boulot, avec sur quelques morceaux plus originaux, des sonorités “motoric” intéressantes. Du fait du stress, il y aura malheureusement quelques cafouillages, en particulier sur une intro qui devra être reprise trois fois… mais finalement, c’est presque dans l’esprit de la soirée ! Final efficace au bout de 35 minutes bien agréables.
21h30 : On change donc d’atmosphère avec Petrol Girls : à peine montée sur scène, Ren Aldridge nous explique franco que le groupe jouant plutôt “heavy”, et militant pour la cause des femmes et des LGBT, elle demandera aux hommes non homosexuels de quitter le devant de la fosse pour laisser la place aux femmes et aux trans, s’il y en a dans la salle. Bon ! Je dois dire que c’est la première fois que nous entendons un discours ostracisant de ce type dans un concert de Rock, et même si, prévoyant le coup, nous nous étions placés sur le côté, il y a quand même un certain malaise…
Du côté positif, disons que c’est une expérience éducative que de se voir ainsi rejeté pour son sexe – le genre de choses que dans de nombreux pays, les femmes sont obligées de supporter chaque jour – et que cela permet de comprendre à quel point ce genre de situation est insupportable. D’un autre, c’est assez ridicule, voire bêtement contre-productif de tenir ce genre de discours dans une salle de rock d’une ville comme Paris, où l’on peut quand même imaginer que l’immense majorité des mâles présents ce soir supportent le discours politique de Ren… Il faut aussi bien reconnaître qu’aucun homme ne quittera pour autant le premier rang : soit tout le monde était gay, soit personne ne parlait anglais… soit plus vraisemblablement nul n’imaginait que Ren irait chercher la confrontation avec les réfractaires…
Musicalement, nos pétroleuses (puisque nos héroïnes parisiennes de la Commune sont à l’origine du nom du groupe) – qui sont en fait deux filles, dont une nouvelle bassiste, et deux garçons – proposent un punk hardcore façon années 80 – 90 dans les règles de l’Art. Jouant dans une quasi obscurité ce soir, et déployant un jeu de scène minimal, même si Ren a une bonne présence scénique et un headbanging spectaculaire, c’est clairement dans sa posture militante et dans les textes de ses chansons que se niche le plus grand intérêt du groupe… Des textes mélangeant agressivité des déclarations politiques et sensibilité exacerbée, comme dans l’excellent Monstrous : « This is not all of me / I choose the parts you see / All my weakness bottled up / And left to tremble on a shelf »… Car les hommes qui trouvent grâce aux yeux de Ren sont ceux qui laissent paraître leur fragilité, elle nous l’expliquera clairement dans un de ses longs speeches entre deux chansons…
Tout au long de l’heure du concert, nous serons également tenus informés de l’avancement du procès opposant des musiciennes à un “harceleur” de l’industrie musicale, de l’avortement que Ren a choisi parce qu’elle ne voulait pas de bébé, de la résistance des combattantes kurdes au fascisme d’Erdogan (enregistrement sonore à l’appui…)… bref de plein de choses sur lesquelles nous sympathisons totalement avec Ren, ses convictions et ses combats. Reste qu’on n’a pas forcément envie de recevoir autant de leçons en aussi peu de temps. Et finalement, ce sont peut-être ces admonestations répétées qui empêchent le set de décoller vraiment : même si le public du Point Ephémère, largement féminin, crie son approbation aux discours de Ren et danse joyeusement, nous n’aurons pas eu ce soir de véritable pogo, ni de moments de vrai laisser-aller punk. Musicalement, Petrol Girls tiennent la route, même si les vocaux du guitariste manquent de… finesse, et leur rage est évidemment perceptible. Pourtant, le set de ce soir ne sera jamais un grand set…
Arrive la dernière ligne droite, avec le redoutable Touch Me Again, sans doute le titre le plus irrésistible du groupe : « It’s my body / My fucking choice / My lips my thighs my wrists my mind / My hips my neck my tongue my mind / Touch me again / And I’ll fucking kill you »… Et le moment unique où toute celle colère deviendra littéralement la nôtre…
Un dernier titre en rappel, et c’est fini.
Et si ce set avait surtout démontré que, oui le Rock engagé fait parfaitement sens, en particulier dans un monde aussi malade que le nôtre, mais que l’engagement pur et dur est relativement stérile ? Oui, en sortant du Point Ephémère, nous nous disions que les thèmes de cette soirée n’étaient pas si différents de ceux que véhiculent IDLES par exemple : la différence résidait dans le fait que Petrol Girls manquent un peu trop de générosité et d’humour pour vraiment convaincre…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Les musiciennes de Lush Rush :
Eva : chant
Peggy : basse
Aurélie : guitare
Elloran : guitare
Johanne : batterie
La setlist du concert de Lush Rush :
Gold Digger
Lush Rush
Daily Grind
Giallo
Request
Love Job
Walker Texas Killer
The Hunt
Be My Guest
Twisted Thoughts
Better Than You
One More
Drunken Master
La setlist du concert de Petrol Girls :
The Sound (Cut & Snitch – 2019)
Monstrous (Cut & Snitch – 2019)
Big Mouth (Cut & Snitch – 2019)
Harpy (Talk of Violence – 2016)
Rewild (Talk of Violence – 2016)
No Love for a Nation (Cut & Snitch – 2019)
Burn (Cut & Snitch – 2019)
Survivor (The Future is Dark EP – 2018)
Touch Me Again (Talk of Violence – 2016)
Naive (Cut & Snitch – 2019)
Encore:
Restless (Talk of Violence – 2016)