Avec The Party (2016), le canadien Andy Shauf avait mis tout le monde d’accord. Avec The Neon Skyline, il confirme encore le statut de grand auteur qui lui revient. Ni vraiment une copie de son aîné, ni vraiment un grand bouleversement, The Neon Skyline est avant tout un bel exemple de l’art de la nuance.
Qu’on se le dise, l’année 2020 débutante s’annonce sous les meilleurs hospices. Bill Fay, A Girl Called Eddy The Innocence Mission, Cabane, Arandel, Manuel Adnot ou le Matt Elliott à paraître bientôt chez Ici D’Ailleurs. Autant de grands disques précieux alors que février n’est pas encore fini. D’autres surprises s’annoncent encore comme le prochain Les Marquises, le projet de Jean-Sébastien Nouveau. Autant d’albums que nous retrouverons assurément dans les podiums de tops de fin d’année. Des disques qui mettent tout le monde d’accord, les indécrottables « haters » comme les blasés ou les enthousiastes systématiques.
Déjà avec son troisième album, The Party (2016), Andy Shauf faisait le consensus, réconciliait tout le monde. Pourtant les deux autres albums sous son propre nom avaient peu fait parler d’eux, c’est le moins que l’on puisse dire. Qu’est-ce qui provoque un changement d’un disque à l’autre, un intérêt grandissant pour un artiste qui finalement ne bouleverse guère grand chose à sa formule ou sa recette ? Il y a peut-être un semblant de début de réponse dans cette capacité qu’a Shauf à jouer d’un nuancier. The Party était plus ramassé sur lui-même dans des climats doux-amers. A la première écoute, The Neon Skyline distille cette illusion d’une même mélancolie nonchalante et acide mais à y regarder de plus près, à l’écouter plus attentivement, entre les lignes, on y perçoit plus de lumière, plus d’espace peut-être aussi. Pourtant, rien ne change vraiment dans la musique d’Andy Shauf, on y retrouve cet amour des arrangements ornés à la manière de Burt Bacharach, un Folk épuré à la Elliott Smith, un tropisme évident pour les sons des années 70. A me lire, vous pourriez me retourner qu’Andy Shauf reproduit à peu de choses prés les mêmes ingrédients que sur The Party. Oui et… Non. En effet, le disque n’hésite pas à emprunter de nouvelles voies, du moins des manières inédites de suivre l’angle d’une chanson pour la transporter ailleurs. L’exemple le plus pertinent pour me faire comprendre est assurément Try Again, avec sa mélodie conquérante et enjouée qui ne dépareillerait pas dans le répertoire de Josh Rouse.
Ce qui est évident dès la première écoute, c’est ce dépouillement dans les arrangements. C’est d’ailleurs sans doute la prise de position la plus radicale du disque, la plus casse-gueule aussi perçue par ceux qui avaient adoré The Party pour ses cordes magnifiques et ses orchestrations subtiles. Car malgré les apparences, The Neon Skyline est un album de prise de risque. Quelque part après la perfection Pop de The Party, Andy Shauf n’avait pas le choix, il ne pouvait poursuivre dans cette voie orchestrale, on l’aurait taxé de paresseux créatif, on aurait comparé les deux disques et pas sûr que cela aurait rendu justice à l’Andy Shauf de 2020. Il en fallait bien du courage et du culot pour jouer avec une telle force des nuances comme le fait le canadien sur The Neon Skyline.
Il en sort gagnant, prouvant une fois l’étendue d’un spectre musical que l’on supposait déjà. Et puis jusqu’à présent les grands génies de la Pop étaient souvent des icônes intouchables, des statues de perfection. Andy Shauf chamboule tout avec cette musique brillante mais modeste, avec son air du voisin d’en face.Imaginez la flamboyance d’un David Bowie période Hunky Dory réincarnée dans le corps maladroit et gracile d’un petit gars d’une banlieue obscure. Ce qui est fort tout au long de ce disque que l’on peut considérer comme concept où Shauf s’installe en conteur d’une histoire, c’est que la narration riche est sur plusieurs niveaux. D’un point de vue musical déjà où Shauf raconte une généalogie de la Pop comme sur Where Are You Judy où il mélange les vieux airs de Richard Rodgers et Lorenz Hart, des réminiscences Doo Wap et les merveilles négligées du Kingston Rio.
Une telle réussite donne envie de chanter :
Une copine à moi qui
M’a dit tu t’appelais Andy ! Andy…
Ca fait un moment que je te suis, Andy.
Hé, tu viens chez moi ? Ou alors on va chez toi.
Allez, Andy, quoi, oh dis-moi oui.
On pourrait encore se prêter au jeu du name dropping à l’écoute des 11 titres de The Neon Skyline mais ce serait sans aucun doute stérile, les morceaux vivant parfaitement en autarcie sans une comparaison dérisoire, sans leurs références. Après The Party, Andy Shauf signe un second chef d’oeuvre et certainement l’un des disques majeurs de 2020,encore un qui vient s’ajouter à la collection de perles mentionnées plus haut.
Greg Bod
Andy Shauf – The Neon Skyline
Sortie le 24 janvier 2020
Label : Anti