5 ans d’attente pour ce The Slow Rush, qui risque de laisser pas mal de fans du Tame Impala de la première époque sur le carreau…
Allez, on va se fâcher avec plein de gens très bien, mais la sortie de The Slow Rush, le quatrième album de Tame Impala après cinq ans d’attente est l’occasion parfaite d’écrire ce que nous pensons réellement, aujourd’hui en 2020, de la musique de Kevin Parker. Et, imaginez-vous, c’est loin d’être du bien !
Dix ans seulement ont passé, mais qu’elle semble loin, l’époque où nous découvrions les bidouillages inspirés du tout jeune Kevin, qui sortait de sa chambre de post-ado avec sous le bras les chansons psyché et expérimentales de Innerspeaker, un album à la fois novateur et pourtant profondément connecté avec toute l’histoire de la musique que nous aimons ! Un vrai disque de Rock, mêlant des mélodies soyeuses – même fragmentées – et de bons délires sonores qui gagnèrent très vite notre cœur. Kevin était pour nous une sorte de petit frère inconnu qui surgissait de nulle part (l’Australie !) et allait, on en était sûr, longtemps nous tenir nous compagnie. Lonerism – avec sa pochette Jardin du Luxembourg, clin d’œil à nous Français qui nous sentîmes, du coup, honorés – était un second album dans le genre de la majorité des seconds albums : la même chose en plus mûr, en plus développé, une sorte de passage à l’âge adulte qui revêtait des accents plus efficaces, mais peut-être un peu moins touchants. Ceux qui eurent la chance d’assister à la tournée suivant Lonerism se souviendront longtemps de volutes psychédéliques de guitare qui nous firent oublier la peine que nous avions de ne pas avoir pu voir les débuts du Pink Floyd avec Syd Barrett sur scène à Londres en 1967… Le coup de Trafalgar, ce fut évidemment la parution en 2015 de Currents, un drôle de virage électronique et… commercial, si l’on veut (ce qui en soit est tout sauf un problème !), pour un Kevin Parker toujours aussi passionné par la construction de véritables cathédrales sonores en empilant sans fin des couches de sons, mais louchant cette fois plus vers les Bee Gees ou Supertramp, comme il le déclara lui-même, que vers les pionniers du mur du son comme My Bloody Valentine. Quelques très belles chansons illuminaient un disque trop long et souvent un peu fade.
Ce long résumé pour en arriver à une triste – pour nous, bien entendu – évidence, The Slow Rush, enfin publié après un interminable teasing à force de diffusion de morceaux au compte-gouttes qui aura eu raison de notre patience, c’est tout ce que nous n’avions pas aimé dans Currents, en pire. Et sans plus rien de ce que nous aimions dans Innerspeaker et Lonerism. Nous ne dirons pas ici que Kevin a vendu son âme à l’industrie, et à la mode de la musique qui vend actuellement, car c’est heureusement son droit le plus strict d’évoluer, de vouloir avoir du succès, et de ne pas ressasser ce vieil amour pour un rock à guitares psyché qui appartient au siècle précédent. Nous dirons simplement que nous ne trouvons dans cet album encore une fois interminable, terriblement sucré et fade, rien qui nous motive à le suivre…
Bien sûr, les passionnés de musique complexe se délecteront devant le perfectionnisme toujours plus outré de Kevin, et la maîtrise réelle dont il fait preuve pour intégrer dans ses compositions des influences toujours plus larges : d’un côté, on n’est plus si loin des sonorités d’un R&B mainstream auquel il ne nous est pas facile d’adhérer, mais d’un autre Parker cite abondamment des styles musicaux qu’on a pu aimer à certaines époques, des productions Quincy Jones au Rock Progressif des 70’s. A la manière d’un artiste de hip hop, notre savant fou, seul aux commandes, compose, recycle, construit, accumule, distord… Et si ça marche parfois, comme sur l’ambitieux final à la démesure intriguante, One More Hour, le résultat s’avère souvent d’une vacuité émotionnelle – et même esthétique – désolante. Car Kevin semble cette fois bien en peine de nous proposer des mélodies, voire des rythmiques vraiment stimulantes, qui animeraient un peu ce déluge musical mou : pour un Lost in Yesterday qui balance et donne envie de se trémousser sur le dance-floor, combien d’interminables Tomorrow’s Dust ?
Car on le sait, la voix de Kevin Parker n’a jamais été assez intéressante pour rehausser ses titres les plus faibles, et ses paroles ne dépassent guère le niveau de banalités existentielles très typiques de la culture égocentrique anglo-saxonne sur la nécessité de s’améliorer et les risques d’avoir des pensées négatives : on bâille…
Bref, si l’on peut supposer qu’une telle soupe tiède permettra à Tame Impala de continuer à régner en haut des affiches des grands festivals de l’été, que The Slow Rush pourra servir de fond sonore à maints cocktails branchés l’hiver prochain, que les nostalgiques de Fleetwood Mac adoreront retrouver cette espèce d’easy-listening un peu niais caractéristique du « soft rock » californien, nous nous permettrons d’affirmer ici haut et fort que notre époque troublée mérite une musique qui soit à la hauteur, et qu’on attendait autre chose de Kevin Parker…
… Mais pour ça, c’est probablement trop tard.
Eric Debarnot