Lundi soir, au Trianon, les absents ont encore eu plus tort que d’habitude : ils ont manqué un concert exceptionnellement puissant de Sleater-Kinney, un groupe à côté duquel il ne faut plus passer !
Nombreux sont les grands groupes qui sont passés à côté du succès, voire même d’une simple reconnaissance publique, et on admet tous que la vie est tout sauf juste. On se contente donc de ressasser entre nous notre frustration que les Replacements ne soient jamais devenus le plus grand groupe de leur génération, ou que Doctors of Madness aient pu réapparaître en 2019 dans l’indifférence la plus complète. Le cas de Sleater-Kinney est lui aussi, particulièrement incompréhensible : voici un groupe qui vole à mille lieues au-dessus du tout-venant, conjuguant albums inspirés, prestations live puissantes et attitude – politique et tout simplement humaine – impeccable. Et malgré tout cela, le Trianon ne sera qu’à moitié rempli ce soir, beaucoup de gens ayant préféré aller voir d’autres groupes, bien moins importants, et surtout bien moins satisfaisants. Bon, les absents ont toujours tort, comme le dit le vieil adage populaire, mais ce soir, ne pas être ici pour écouter et voir Sleater-Kinney, ce n’est plus une erreur, c’est carrément une faute.
19h30 : la soirée commence plaisamment avec Katie Harkin, jeune musicienne anglaise au curriculum déjà impressionnant, puisqu’elle faisait partie du groupe Sky Larkin, et a accompagné Kurt Vile et Courtney Barnett sur scène, en plus d’officier comme ce soir au sein de Sleater-Kinney à la troisième guitare et aux claviers. En “solo” – en fait accompagnée d’une batteuse et d’une bassiste -, elle nous propose des chansons très électriques, mais sur un tempo assez calme, créant une sorte d’ambiance réflexive assez fascinante. S’il fallait mettre des étiquettes, on pourrait situer ça quelque part entre un R.E.M. un peu grunge et un Sonic Youth apaisé, avec peut-être en effet une parenté avec le travail de Kurt Vile. Bref, tout ce qu’on aime, ce qui fait qu’on écoute avec attention cette belle musique qui ne sacrifie à aucun cliché… mais manque sans doute un peu d’aspérité, ou peut-être simplement de relief. Le dernier titre, Nothing the Night Can’t Change, plus enlevé, est le meilleur, et montre bien que Harkin “en a sous la pédale”.
20h30 : Très beaux décors, jouant sur des parties du corps féminin (yeux, mains, etc.), très belles lumières, avec un usage sympathique de néons sur les pieds de micro, on voit bien que le nouveau Sleater-Kinney – celui de la reformation, celui aussi d’après le départ pour divergences musicales de Janet – a des ambitions qui dépassent désormais la gueulante et e combat au corps à corps des “riot girrls” (mouvement auquel on a abusivement, à mon avis, associé le trio). Corin et Carrie sont en première ligne, chacune avec son micro, sa guitare et son attitude : Carrie est dans la joie expansive, le plaisir de jouer et la perpétuation du rituel rock’n’rollien, tandis que Corin, avec sa guitare qui supplée magistralement à l’absence de basse, et sa voix pleine de “soul”, est la force tranquille, mais aussi la pourvoyeuse d’émotions dans Sleater-Kinney. Derrière elles, Angie, une batteuse qui s’avérera extraordinaire et contribuera massivement à la puissance du set, Katie et Toko, présence magnétique derrière ses claviers : bref, un vrai groupe, au-delà du duo originel !
Et, en effet, dès l’intro spectaculaire de The Center Won’t Hold, le magnétisme de nos jeunes femmes opère à 100%, et lorsque la chanson explose dans un chaos strident et convulsif, impossible de ne pas sentir l’adrénaline qui se déverse dans nos veines : c’est du p… de rock’n’roll, sur scène, et la sophistication pop nouvelle des morceaux du dernier album ne va pas être un obstacle à l’énergie de Sleater-Kinney. Au contraire, cette lisibilité des mélodies, cette élasticité de la démarche et cette richesse des ambiances vont contribuer à faciliter notre immersion dans la musique de Corin et Carrie, et à nous piéger magnifiquement quand la violence sonique déferle sur nous. Et de fait, la première partie du set va s’avérer ex-tra-or-di-nai-re, avec sur quasiment chaque morceau, ce basculement dans l’hystérie qui est, fondamentalement, ce qu’on attend d’un GRAND concert de Rock. Mention spéciale à Price Tag et surtout The Future Is Here, deux occasions parfaites pour mettre le feu à un Trianon certes peu rempli, mais où chaque spectateur /-trice semble porter très profondément dans son cœur l’AMOUR pour Sleater-Kinney : un public passionné pour un groupe exceptionnel, la recette d’une bonne soirée.
Le programme de ce soir est généreux : 1h40 et 26 titres, avec une nouvelle version de la set-list – incluant Bury Our Friends – remplaçant en dernière minute la précédente déjà scotchée sur la scène, et avec l’ajout final de Words and Guitar sous le coup de l’enthousiasme. Certains se plaindront à la fin de la part trop belle faite aux nouvelles chansons (la quasi-intégralité de “The Center Won’t Hold”, plus deux titres de “No Cities to Love” !) par rapport à celles de la première époque du groupe : on leur rétorquera que, certes, le Sleater-Kinney de 2020 n’est plus le même groupe que celui des années 90, mais que, en gagnant en séduction pop, il n’a pas perdu grand-chose de son amour pour le punk rock, pour le grunge, voire pour les riffs heavy. Et c’est bien ça que ce set à notre avis quasiment parfait va démontrer ce soir…
Bon, on doit quand même convenir, malgré notre enthousiasme, que la tension se dissipe un peu au cœur du concert, avec des morceaux moins intenses, moins impérieux… Même si le jeu de scène explosif et souriant de Carrie fait que notre enthousiasme ne baisse pas vraiment… Et même si certains morceaux restent très impressionnants, comme par exemple un RUINS où les guitares apocalyptiques font véritablement des merveilles. C’est à partir d’une version sérieusement heavy de The Fox que le set va entrer dans sa dernière ligne droite, avec une succession de morceaux stupéfiants qui plongent le Trianon dans le bonheur. On se souviendra en particulier d’un Can I Go On repris en chœur par les fans, et surtout d’une interprétation tranchante, excitante au possible de Animal, avec Katie Harkin qui vient sur le devant de la scène envoyer la purée avec sa guitare : magnifique !
Le rappel sera l’occasion pour Sleater-Kinney de montrer qu’elles ont d’autres cordes à leur arc : un moment d’émotion intense avec Broken, avec Carrie au piano et Corin qui démontre toute l’amplitude de son talent vocal, une reprise – a priori jouée pour la première fois sur scène – du Gloria de Laura Branigan (Umberto Tozi, en fait…)… avant le final speed et punk rock qui va bien, en enchaînant Words and Guitar et Dig Me Out.
Woaouh ! Quelle belle expérience ! Quelle maîtrise de la tension, et des explosions de violence brute qui permettent de la relâcher et de satisfaire le public ! Quel grand groupe ! On n’est que fin février, mais il est bien possible que l’on ait déjà assisté au concert de l’année 2020. En tout cas, il ne nous reste plus qu’à faire preuve de tout le prosélytisme possible pour convaincre tous nos amis de ne plus passer à côté de Sleater-Kinney !
Texte et photos : Eric Debarnot
La setlist du concert de Katie Harkin :
Mist on Glass
Bristling
Up to Speed
Dial It In
Decade
Nothing the Night Can’t Change
Les musiciennes de Sleater-Kinney sur scène :
Carrie Brownstein – guitar, backing and lead vocals
Corin Tucker – lead and backing vocals, guitar
Katie Harkin – guitar, keyboards, percussion
Toko Yasuda – keyboards, backing vocals
Angie Boylan – drums
La setlist du concert de Sleater-Kinney :
The Center Won’t Hold (The Center Won’t Hold – 2019)
Hurry On Home (The Center Won’t Hold – 2019)
Price Tag (No Cities to Love – 2015)
The Future Is Here (The Center Won’t Hold – 2019)
Jumpers (The Woods – 2005)
Bury Our Friends (No Cities to Love – 2015)
Oh! (One Beat – 2002)
Ironclad (All Hands on the Bad One – 2000)
RUINS (The Center Won’t Hold – 2019)
What’s Mine Is Yours (The Woods – 2005)
All Hands on the Bad One (All Hands on the Bad One – 2000)
Bad Dance (The Center Won’t Hold – 2019)
One More Hour (Dig Me Out – 1997)
Start Together (The Hot Rock – 1999)
The Fox (The Woods – 2005)
LOVE (The Center Won’t Hold – 2019)
Can I Go On (The Center Won’t Hold – 2019)
A New Wave (No Cities to Love – 2015)
Animal (single – 2019)
The Dog/The Body (The Center Won’t Hold – 2019)
Entertain (The Woods – 2005)
Encore:
Broken (The Center Won’t Hold – 2019)
Modern Girl (The Woods – 2005)
Gloria (Laura Branigan cover)
Words and Guitar (not on the setlist) (Dig Me Out – 1997)
Dig Me Out (Dig Me Out – 1997)
Belle pièce ! J’ai voyagé plusieurs milliers de kilomètres pour assisté à cette nuit formidable, comme beaucoup d’entre nous dans la foule. Vous m’avez ramené dans de bon souvenirs, toutes fraiches. Merci !
Une petite faute à vous signaler : Le nom de famille de Katie s’écrit Harkin, et pas Larkin.
Merci pour ton appréciation et pour la correction, j’avais en effet mélangé son nom de famille et le nom de son groupe précédent !