Si certains ont pu déplorer que Better Call Saul soit dans le fond aussi éloignée de Breaking Bad, en jouant beaucoup plus sur des atmosphères subtiles et des moments émotionnellement forts, on y retrouvait les mêmes qualités de mise en scène et de richesse des personnages. Revue des 4 premières saisons alors que la diffusion de la cinquième vient de commencer…
Qu’attendions-nous en 2014 d’un spin-off de l’excellentissime Breaking Bad, sinon un peu de « fan service », comme on dit aujourd’hui, autour d’un personnage secondaire pittoresque ? Lorsque nous nous sommes retrouvés devant la première saison de Better Call Saul, nous n’en avons pas cru nos yeux : on nous offrait une série du même niveau que la « série-mère », avec la même intelligence de mise en scène, au service d’une construction narrative complexe, racontant des histoires à la fois triviales et exemplaires arrivant à des personnages bouleversants d’humanité… mais dans un registre étonnamment différent de celui de Breaking Bad !
On n’y retrouvait pas le côté « ludique », parfois vaguement cartoonesque (louchant du côté des Frères Coen, comme on l’a souvent dit) du périple ultra-violent de Walter White : on avait plutôt droit à une balade mélancolique, puis très vite extrêmement douloureuse, où le burlesque n’affleurait plus qu’à de rares moments de respiration. Une série tournant autour du métier d’avocat, décrit ici avec une justesse rare, en évitant la plupart du temps la caricature que l’on pouvait craindre. La similarité avec Breaking Bad se trouvait plutôt dans le thème, puisqu’on suivait encore une fois le calvaire d’un homme ordinaire, plutôt honnête (malgré ses tendances ludiques à la mini-arnaque…), qui va encaisser une série épuisante d’humiliations, de défaites, puis de trahisons, au point de baisser les bras et de se laisser aller dans un final de la première saison faussement libérateur (Smoke on the Water !) et en fait totalement désespérant.
Jimmy McGill, magnifiquement incarné par Bob Odenkirk, est devenu, au fil de son calvaire, un véritable frère d’épreuve pour le téléspectateur empathique, qui souffrira donc avec lui à chaque coup du destin. Heureusement, Vince Gilligan et Peter Gould ont eu la générosité de relâcher un peu la pression et de pimenter leur série avec les aventures « policières », plus dramatiques peut-être, mais aussi plus « amusantes » de Mike Ehrmantraut, plus conformes sans doute à ce qu’on attendait de l’équipe de Breaking Bad…
Si les développements de l’intrigue restaient dans la seconde saison de Better Call Saul dans la droite ligne de la première, la relation infernale (et déséquilibrée) entre Saul et son frère Chuck étant la principale source de péripéties (et de souffrances pour le téléspectateur…), le côté « thriller » de la série, s’accentuait, peut-être pour rattraper les téléspectateurs fans de Breaking Bad et logiquement désemparés par un « spin off » qui explorait franchement d’autres sujets (la loi, le droit, la justice, et leurs rapports difficiles, pour faire court) certainement moins attrayants.
Si l’épisode Chicanery de la troisième saison, avec sa scène classique de procès, reste certainement l’un des sommets de toute la série à date, et le final qui réglait de manière tragique les comptes de la relation entre Jimmy et Chuck était un véritable crève-cœur, la troisième saison, dont le grand sujet semblait être avant tout la mélancolie que provoque en nous la découverte que nos propres manipulations fonctionnent si bien, et que le monde est donc décevant, s’était avérée un peu moins impressionnante (peut-être à cause de la relative faiblesse cette fois de la partie « policière » tournant surtout autour de Nacho).
On pouvait bien sûr compter sur l’intelligence de Gilligan pour rattraper le coup dans une quatrième saison, qui « se contentait » de faire converger les différents fils de la fiction (il y en avait trois, « tressés » autour de Jimmy, de Mike et de Nacho…) sans les entremêler : plus l’on s’approchait de « Breaking Bad » chronologiquement, plus on retrouvait les qualités de cette narration brillante associée à une mise en scène et une photographie virtuoses… Better Call Saul frisait à nouveau l’exceptionnel, en particulier dans sa dernière partie consacrée largement aux travaux d’excavation réalisés par un ingénieur allemand sous la surveillance de Mike, et aux efforts de Jimmy pour récupérer sa licence d’avocat. La conclusion en aura été dans les deux cas un déchirement absolu, et la dernière scène de la saison, accablante, prenant acte de la disparition complète du « bon Jimmy » derrière sa nouvelle identité de Saul (« It’s all good, man !« ) était un immense moment de pur CINEMA.
Better Call Saul nous aura donc jusque-là emballé et bouleversé, et nous allons maintenant découvrir si la nouvelle saison sera à la hauteur des 4 saisons précédentes.
Eric Debarnot