Une soirée originale mercredi à la Boule Noire avec GaBLé qui nous offrait un ciné-concert et Jeffrey Lewis qui nous racontait la belle histoire du Punk Rock new-yorkais !
Avec l’arrivée promise du coronavirus et le retour du froid humide, nous n’avons pas beaucoup d’occasions de nous réjouir en ce moment. Impossible donc de refuser l’alléchante perspective d’une “double date” avec les fantaisistes affûtés de GaBlé et avec le folk punk (ou punk folk ?) de Jeffrey Lewis, qui a de plus sorti un excellent album, “Bad Wiring”, honteusement passé sous les radars. Le tout à la Boule noire, l’une des salles les plus accueillantes de Paris !
20h15 : GaBLé nous invite ce soir ni plus ni moins qu’à un Ciné-Concert (“GaBLé joue CoMiCoLoR”, c’est le titre du programme…) : un écran est installé sur la droite, le trio est quant à lui regroupé à gauche de la scène, autour d’une grande table sur laquelle est entreposé tout le matériel, du plus classique au plus fantaisiste (telles ces trompettes en plastique au plus bel effet), qui va servir à accompagner et illustrer la projection de 6 courts métrages d’animation datant de 1934 à 1936. Des courts métrages produits par Ub Iwerks (collaborateur de Walt Disney bien oublié…) qui sont de dignes représentants d’une époque à la folie surréaliste décoiffante, mais aussi, vu d’aujourd’hui touchante. Le travail du trio GaBLé sur ce matériau original est en tous points remarquable : réussissant à conjuguer bruitages amusants parfaitement synchronisés avec les événements à l’écran et interprétation de véritables morceaux musicaux, souvent très puissants, GaBLé nous offre une expérience totale. De la très belle musique, que l’on pourrait qualifier, pour aller vite, de « post rock », avec un goût certain pour les déchirures électriques et les percussions sauvages, et des sons décalés, accompagnant d’excellents dessins animés, cela donne 45 minutes d’un spectacle total parfait…
Ci-dessous, l’un des cartoons faisant partie du programme :
https://www.youtube.com/watch?v=wEEdxh5O8TM
21h35 : Au bout d’un moment à observer, fascinés, l’installation du matériel de Jeffrey Lewis, nous réalisons que le New yorkais, par ailleurs auteur de BD, est plus préoccupé par la bonne projection d’images sur un écran de fortune derrière lui que par ses pédales d’effet et son ampli de guitare. Et nous allons comprendre pourquoi durant le set qui va suivre…
The Voltage, la nouvelle formation de Jeffrey, c’est un batteur puissant au look d’acteur hollywoodien, et un bassiste freluquet auquel on donne à peine 18 ans, tous les deux capables en outre d’assurer eux aussi des vocaux impeccables – plusieurs morceaux de Jeffrey Lewis & the Voltage étant en effet chantés à 2 ou à 3 voix ! Jeffrey, quant à lui, est une sorte de caricature de l’artiste bohème new yorkais : casquette, cheveux décolorés en friche, attitude très laid-back, et surtout une guitare acoustique recouverte entièrement de stickers, à moitié repeinte, qui ne paie pas de mine… guitare sur laquelle il aura au préalable scotché soigneusement une mini set list couverte de pattes de mouche.
Dès le premier morceau, swinguant, presque funky, on est surpris : rien à voir avec le folk alternatif punky raide et énervé de l’album ! Mais la guitare, pourtant électrifiée grâce à ce qui ressemble plus à un bricolage instable qu’à autre chose, dégage un son psychédélique, sursaturé, réellement monstrueux ! Second morceau, nouveau genre : nous voilà maintenant devant un folk quasi acoustique, des plus traditionnels. Il faut attendre le réjouissant LPs (chanson à la gloire de la collection de disques vinyles !) pour retrouver un peu nos marques… Mais cette versatilité musicale de Jeffrey est éminemment sympathique, d’autant que, techniquement, derrière l’esprit DIY de la démarche, le trio sur scène assure franchement ! Il n’y a guère que les lumières, quasi absentes, qui laisseront franchement à désirer ce soir… L’accélération du rythme des chansons a attiré devant la scène une petite foule plus agitée, mais les pogoteurs (timides quand même) vont refluer quand Jeff nous annonce qu’il va maintenant… nous raconter l’histoire, basée sur les faits réels, de Pocahontas ! Séance projection de diapos donc, ou presque : Jeff fait défiler à l’écran ses dessins narrant l’aventure de la célèbre jeune indienne (qui en fait n’a pas épousé John Smith, mais un autre colon !), et nous raconte le tout avec pas mal d’humour, pendant que The Voltage fait de l’animation sonore. C’est frais, c’est drôle, c’est inhabituel. Pourquoi pas ?
Le concert reprend, avec toujours cette alternance de passages très rock où The Voltage montre son efficacité et d’autres où la musique de Lewis témoigne de son attachement à ses racines… Soit un sujet qui sera celui de son second « exposé » – à notre humble avis le plus beau moment de la soirée, même si certains ont trouvé ça un peu long – sur les origines du punk rock (américain et new yorkais en particulier) dans un courant folk particulier, sérieusement déjanté, des années 60. Un mélange de noms connus (Velvet, Stooges, New York Dolls, Pattt Smirh, Richard Hell…) et beaucoup moins (comme les Fugs ou les étonnants David Peel & The Lower East Side), qui explique brillamment la naissance de ce courant musical fondamental et permet de mieux comprendre son évolution jusqu’à sa traversée de l’Atlantique et son explosion en Grande Bretagne… le tout illustré de brèves reprises sauvages de 1969, Waiting for My Man, Gloria, Blank Generation et bien d’autres ! Un régal, on vous dit…
On notera ensuite une belle reprise du High Voltage d’AC/DC sur lequel Jeffrey lâchera la bride à ses musiciens, et également une troisième « histoire’, dessinée par Jeffrey et hilarante cette fois, sur l’existence de « singes cannibales » tout mignons, grand moment de délire où the Voltage a pu se laisser aller à ses tendances bruitistes.
Mais c’est sans doute la toute conclusion de ce set vraiment particulier de 1h15 qui nous touchera le plus : désormais seul sur scène, Jeffrey Lewis nous expliquera qu’il ne croit pas en Dieu, mais en l’Art, et que la plus belle révélation de la puissance de l’Art fut pour lui l’existence d’une chanson comme True Love will Find you in the End… qu’il interprètera (partiellement) a capella, illustrant ce moment magique par des dessins reprenant ceux si caractéristiques du génial Daniel Johnston.
Oui, Jeffrey Lewis est un mec bien. Et passionnant.
Et si, comme nous, comme lui, vous pensez que faire de la musique aujourd’hui nécessite de savoir d’où l’on vient. Et que l’on ne peut être vraiment libre de créer que si l’on a compris et si l’on respecte ceux qui l’ont fait avant nous… eh bien, comme nous, vous ne manquerez pas le prochain passage de Jeffrey Lewis en France… »
Texte : Eric Debarnot
Photos : Eric Debarnot et André Beaulieu
La setlist du concert de Jeffrey Lewis & The Voltage :
Danger
Nose
Arrow (It’s the Ones Who’ve Cracked That The Light Shines Through – 2003)
LPs (Bad Wiring – 2019)
In Certain Orders (Bad Wiring – 2019)
Pocahontas
Bex
Where Is the Machine (Bad Wiring – 2019)
System
Exactly What Nobody Wanted (Bad Wiring – 2019)
Closed
History of Punk in NYC’s Lower East Side From 1950-75
My Girlfriend Doesn’t Worry (Bad Wiring – 2019)
Sad Screaming Old Man
High Voltage (AC/DC cover)
Cannibal Monkeys
Fun
True Love Will Find You in the End (Daniel Johnston cover)