Les algues vertes, c’est nauséabond et mortel ! Une métaphore parfaite pour décrire l’omerta politico-économique sur l’un des plus gros scandales écologiques en France, le tout raconté dans un excellent docu-BD.
Hormis ceux qui ont vécu dans une grotte ces dix dernières années, tout le monde se souvient de ces affaires d’algues vertes toxiques qui ont fait la une des JT français à plusieurs reprises. Trois hommes et une quarantaine d’animaux ont péri sur les plages bretonnes dans des circonstances encore non totalement élucidées aujourd’hui, même si tous les soupçons convergent vers un seul et même coupable : l’hydrogène sulfuré (H2S), qui émane des fameuses algues.
Avec cette BD documentaire, Inès Léraud, intriguée par l’omerta qui pesait — et pèse toujours — sur la question, nous livre une analyse édifiante en remontant aux origines du problème, lié à l’agriculture intensive mise en place dans les années 60, avec les premières marées vertes pestilentielles dès la décennie suivante. A cela est venu s’ajouter l’élevage porcin intensif, important générateur de lisier, lequel a vu ses surfaces décuplées dans les années 80, bien souvent de manière illégale. La Bretagne était devenue le pays du cochon industriel, avec d’autres conséquences calamiteuses telles que l’interdiction de boire l’eau du robinet dans de nombreuses communes. A La fin des années 90, l’Etat via l’IFREMER commençait à pointer du doigt le modèle d’agriculture, mais le monde agricole, qui ne l’entendait pas de cette oreille, se lança dans une vaste campagne de décrédibilisation contre l’institut et les écologistes. Lorsque survinrent les premiers décès sur les côtes à la fin des années 2000, on aurait pu croire qu’enfin les responsables allaient faire amende honorable et reconnaître leurs erreurs… Que nenni ! Que du déni nous aurons à la place, et ceux-ci, sentant l’étau se refermer, se montreront d’autant plus agressifs, notamment avec les écologistes, n’hésitant pas à recourir aux intimidations et allant même jusqu’aux menaces de mort.
Pour son enquête, Inés Léraud, journaliste d’investigation pour Mediapart et Le Canard enchaîné, s’est donc attelée à élaborer un fil narratif en réunissant de nombreux documents scientifiques, journalistiques, judiciaires, et en enregistrant les témoignages des protagonistes. On apprendra au fil de ses recherches que sous le poison des algues et la loi du silence, se terre un vaste réseau d’intérêts financiers et économiques qui a gangréné le monde politique. Mais que le système se révèle aussi un piège redoutable pour nombre d’éleveurs, d’autant plus lorsqu’ils rêvent d’une reconversion vers des méthodes plus naturelles… Un triste constat, assez prévisible finalement mais tout de même assez sidérant, tant il nous rappelle avec acuité que la santé des citoyens ne pèse guère face aux puissances de l’argent.
Pierre Van Hove a su parfaitement se caler sur les propos du livre avec un dessin très efficace pour illustrer sans s’imposer. Une mise en page et un cadrage pertinent contribuent à rendre fluide et dynamique cette enquête tout de même assez consistante et qui implique pour le lecteur la nécessité de ne pas « lâcher le fil » eu égard aux nombreux intervenants. Tout au long du livre, le dessinateur — d’origine angoumoisine (ça ne s’invente pas) —, fait preuve d’une ironie légère, dans l’esprit du Canard enchaîné, ce qui correspond très bien au propos du livre. Le choix des couleurs, à dominante jaune et verte, renforce l’impression de toxicité, comme si les auteurs avaient voulu nous faire respirer un peu de la puanteur de cette affaire, tant au sens propre (les algues) que figuré (le pognon).
On ne peut donc que saluer le travail salutaire (un travail « salutaire » se « salue », non ?) des auteurs. A noter que l’album est publié conjointement par Delcourt et La Revue dessinée, cette dernière ayant déjà mis en lumière les premières étapes du projet en 2017.
Laurent Proudhon