Après son Clean qui a été très bien reçu aux USA, Soccer Mommy revient avec color theory, un album plus lustré, mais qui affronte les spectres terribles de l’usure de l’être et de la mortalité…
Tout le monde en France ne connait pas encore Soccer Mommy, c’est-à-dire Sophie Allison, très jeune femme (elle n’a que 22 ans…) de Nashville, qui en est déjà quand même à son quatrième album, même si tout le monde affirme que c’est avec Clean (2018), son disque précédent, que les choses sérieuses ont vraiment commencé. Les choses sérieuses, c’est-à-dire un embryon de succès (car quel artiste indie rock de nos jours pourrait-il vraiment prétendre à un vrai succès populaire ?), et une certaine reconnaissance artistique…
La musique de Sophie peut sembler à première vue presque être une parodie du rock indépendant, ou tout au moins ce courant qualifié avec une certaine condescendance de « bedroom pop » : entre exploration pleine de sensibilité de tourments intimes, mélodies fugaces sur des guitares électriques plutôt légères, et voix encore un peu enfantine, Soccer Mommy coche toutes les casses prévues, et color theory ne surprendra personne. Du coup, plusieurs écoutes seront nécessaires pour appréhender la véritable grâce de cet album derrière une production très professionnelle et sans doute un peu riche : il faut sans doute blâmer Gabe Wax et Lars Stalfors, qui ont eu tendance à arrondir les angles d’un album pourtant prétendument enregistré « live en studio », mais on imagine que Sophie elle-même, qui professe son admiration pour Avril Lavigne, n’est pas pour rien dans la relative banalité de cette approche musicale.
Car, plutôt que certaines mélodies tentant une accroche pop un peu décalée, mais que le chant assez (intentionnellement) plat de Sophie ne valorise pas toujours, c’est dans la douleur sourde, parfois même inquiétante qu’exsude cette exploration méthodique de souvenirs traumatiques que l’auditeur trouvera… son bonheur : hormis les – légèrement – plus « up-beat » crawling in my skin et lucy, l’album se tient à des ambiances variant de la mélancolie sourde à la dépression aigüe. Il faut toutefois souligner qu’un certain nombre de concepts originaux ont guidé la conception de color theory, comme ces trois couleurs structurant la liste de chansons et illustrées sur l’étrange pochette évoquant un jeu vidéo un peu vintage, chacune représentant un état émotionnel différent, ou encore comme ce souhait de Sophie de proposer une œuvre qui paraîtrait déjà usée, poussiéreuse, dégradée par le passage des années… Mais comme la réussite d’un disque – à la différence sans doute de celle d’un film ou d’un roman – ne saurait reposer seulement sur des concepts, aussi singuliers soient-ils, c’est bel et bien la justesse des émotions invoquées ici comme des fantômes d’un passé destructeur qui fait le prix d’un album qui s’avère au fil des écoutes de plus en plus précieux.
La précision du songwriting de Sophie fait en effet régulièrement des merveilles, nous transportant dans la psyché d’une jeune femme blessée, s’interrogeant sur l’érosion précoce du bonheur et sur l’effrayante mortalité des êtres comme des sentiments : « Now I’m always stained, like the sheets in my parents’ house / Yeah I’m always stained / And it’s never coming out » chante-t-elle sur stain, et nous ne pouvons guère nous empêcher que c’est quelque chose de terrible que d’écrire des mots comme ça quand on a à peine plus de 20 ans… Quand on n’en est encore qu’au début de sa vie, qu’il est effrayant de refermer un album par un gray light, qui dit : « I see the noose / It’s stuck to my fingers, I’ve pulled at the glue /And I can’t lose it / The feeling I’m going down / I’m waching my mother drown », juste avant que la musique se taise dans un tourbillon électronique de machine défectueuse.
Eric Debarnot
Soccer Mommy – color theory
Sortie le 28 février 2019
Label : Loma Vista Recordings
PS : Soccer Mommy jouera au Petit Bain le 15 juin. Benzine y sera, bien entendu !