Né de l’imagination du fils de Stephen King, Locke & Key voit sa singularité et sa puissance trahies dans une adaptation en série TV mainstream manquant d’audace.
On sait combien adapter en film des bandes dessinées (des comic books, des mangas…) est une opération périlleuse, peut-être plus encore même que celle de romans « conventionnels », et l’on compte vraiment très peu de succès incontestables parmi des dizaines, voire désormais des centaines d’échecs patents (on ne parlera pas ici de super-héros, ou si peu, c’est promis !). En revanche, il semblerait que le format long de la série TV, surtout conjugué avec un budget conséquent, limite la casse : sans reparler de Walking Dead, on rappellera par exemple que sur Netflix, on avait pu apprécier la première saison de The Umbrella Academy qui était de bonne facture sans (trop) trahir l’œuvre de Gerard Way. Avec le pari audacieux de mettre en images le fameux Locke & Key, récompensé par de nombreux prix et écrit par Joe Hill, le fils de Stephen King, Netflix montait clairement en puissance, et on se prenait à espérer à nouveau.
La vérité est malheureusement que cette première saison de Locke & Key n’est pas au niveau de nos attentes disproportionnées : si elle n’a rien de honteux, et si elle réserve de beaux moments à qui n’aurait pas lu les comics, elle nous déçoit à la fois au niveau de son scénario, bien loin de la virtuosité narrative de Joe Hill, et surtout, de son traitement général.
Il y a, les lecteurs de la BD le savent, dans Locke & Key un très bel univers surnaturel, à partir du concept des clés et des déplacements possibles des personnages dans l’espace mais également dans la virtualité de leur mémoire. Il y a aussi, et l’on ne peut pas s’empêcher d’y voir une filiation avec l’œuvre du grand Stephen King, des personnages complexes auxquels on a envie de s’attacher, et un jeu intéressant entre événements passés et présents, essentiels à la constitution du groupe. Il est donc vraiment dommage que tout cela soit régulièrement ridiculisé par un défaut majeur que l’on croyait pourtant caractéristique du mauvais cinéma d’horreur : la capacité des personnages à choisir systématiquement les mauvaises décisions et à faire des choses absurdes, à prendre des initiatives qui défient le bon sens dans des situations dangereuses (aller explorer des grottes côtières alors que la mer monte, se séparer sans raison, porter sur eux les objets que leurs ennemis recherchent, etc.). Rien de tel pour que le téléspectateur se retrouve dans une position d’incrédulité systématique qui désamorce la fiction.
Mais c’est surtout le choix, logique commercialement mais décevant artistiquement, de rendre moins sombre, moins radical le ton général de l’œuvre, mais également le plus « mainstream » possible les personnages, et en particulier les adolescents sur lesquels est centrée la série TV : en ôtant aux personnages leur marginalité, pour leur attribuer des comportements de teenagers beaucoup plus stéréotypés, et en éliminant la plupart des éléments malsains des comic books, Netflix fait tout simplement comme si le modèle de Stranger Things était le seul possible pour compter une histoire fantastique qui soit populaire. Ne subsistent du coup dans la série que de brefs instants de « non-conformisme », comme la proposition de ménage à 3, faite par l’héroïne à ses deux prétendants, ou comme la rechute « bienheureuse » de la mère de famille dans l’alcoolisme… C’est toutefois dans le plus beau personnage de la saison, Dodge, magistralement incarné par une Laysla de Oliveira magnétique, que se niche ce que la série a de plus précieux : depuis quand n’a-t-on pas vu dans une série populaire un « méchant » aussi séduisant, avec une aussi forte ambiguïté sexuelle qui apporte un trouble délicieux dans les scènes de séduction et une aussi formidable jouissance du mal ? On perçoit donc par intermittence ce que la série aurait pu être, si elle avait su être plus audacieuse, et avait montré plus de respect pour l’œuvre originale dont elle est inspirée.
Le dernier épisode de cette première saison – qui couvre à peu près les trois premiers comic books – se conclut classiquement de manière à relancer l’intérêt du téléspectateur pour une seconde saison : on espère donc que les faiblesses de Locke & Key seront corrigées pour pouvoir pleinement se laisser aller au plaisir de ce conte surnaturel original.
Eric Debarnot