Comment raconter l’irracontable ? La brève gloire d’un jeune homme radieux qui « préféra la Mort » ? C’est la question que pose le Basquiat de Mosdal & Voloj, sans vraiment savoir comment y répondre…
L’importance de la figure de Jean-Michel Basquiat dans l’art contemporain des années 80 n’est certes plus à démontrer, mais c’est en général pour sa vie « scandaleuse » que cet artiste faisant partie du « Club des 27 » (c’est-à-dire que, comme de nombreuses rock stars, il décédera à 27 ans, dans son cas – comme beaucoup d’autres – de la drogue…) est finalement plus connu. Et il est vrai que sa vie dissolue, sa parfaite « adéquation » avec l’image du milieu arty de New York (à l’époque une ville sacrément dangereuse, mais aussi bien plus vivante…), les connotations à la fois rock et hip hop de son style en font une matière idéale pour les biopics : graffeur célèbre, proche d’Andy Warhol, séducteur charismatique à la sexualité dévorante et ambiguë, créateur tourmenté, rebelle sans cause, ami ou amant de tout ce que le milieu comptait alors de gens brillants, Basquiat est forcément un sujet passionnant…
Et la démarche de Mosdal et Voloj est sans aucun doute la meilleure pour raconter les dernières années de Jean-Michel, ce brève décennie de gloire avant la « chute fatale » : en capturant tant dans la narration (plutôt déstructurée) que dans le graphisme (instable) autant le déséquilibre de son âme que la forme proliférante de son oeuvre, Basquiat tente d’approcher une sorte de vérité profonde de l’artiste, de nous faire comprendre ses souffrances, ses doutes, mais aussi ses côtés plus sombres : la brutalité avec laquelle il traitait ceux qui l’aimaient, ses trahisons répétées, la négation de ses origines familiales, etc. Graphiquement aussi, les « démons » qui dévorent l’âme de Basquiat sont représentés comme de véritables divinités africaines, tandis que les cases se peuplent parfois d’êtres réduits à des diagrammes symboliques : références à des œuvres de Basquiat et / ou figuration de la confusion de l’esprit d’un jeune créateur qui n’échappera à la fatalité de sa destinée…
Alors, qu’est-ce qui fait que, en dépit de l’intelligence de ce travail, le lecteur ne parvienne jamais à adhérer totalement à Basquiat ? Le manque de fil conducteur d’une narration qui aligne des situations qui semblent finalement toutes équivalentes dans leur atonalité émotionnelle ? La multiplication de personnages auxquels on ne donne pas la chance d’exister, donc de susciter la moindre empathie ? Certaines maladresses (sans doute volontaires) du dessin peinant à représenter de manière convaincante aussi bien personnes qu’actions ? Peut-être…
Mais au final, n’est-ce pas l’incompréhensible comportement de Basquiat, qui semble toujours coupé d’un monde qui le vénère autant que de lui-même, qui nous aliène à notre tour ? Et qui nous empêche d’adhérer à un récit qui sans cesse nous échappe, et à un projet probablement trop ambitieux ?
Eric Debarnot