Le très récent catalogue VOD Apple TV+ crée la surprise en proposant d’emblée un objet curieux, malaisant et très réussi : Servant, oeuvre shyamalanienne en diable, où l’effroi n’est pas forcément là où on le penserait et voudrait.
Et si c’était la meilleure production de Night M. Shyamalan, réalisateur à succès (de « Sixième Sens » à « Split« ), à l’oeuvre inégale mais qui a le mérite de toujours intriguer et attirer notre curiosité ? On n’est pas loin de le penser, tant Servant répond à la fois aux codes de la série horrifique arty et intelligente, mais en s’éloignant totalement des clichés, des attendus et en revisitant le concept de l’effroi sur écran (qu’il soit grand ou petit, d’ailleurs).
Car Shyamalan et son acolyte Tony Basgallop ont une arme redoutable : faire douter le téléspectateur. L’indicible de l’horreur naît ici du fait que, constamment, on ne sait pas – ou plus – si ce qui se déroule sous nos yeux est réel, fait preuve de logique ou pas, si nos propres peurs se reflètent dans ce qui rejaillit des scènes et de ses êtres perdus dans leur schéma de pensée et d’action. Qui, du couple, de la nurse, du beau-frère trop intrusif, est celui vers lequel se porte la vérité de ce que l’on voit ? Les multiples coups de théâtre et rebondissements, dont je ne peux même pas vous dévoiler le premier au tout premier épisode ce qui gâcherait tout, font que Servant demeure de plus en plus insaisissable au fur et à mesure que l’on pense enfin comprendre ce qui se passe sous nos yeux qui doutent, qui hésitent, qui ont peur, une peur irascible d’ailleurs, bien plus malaisante qu’un film gore lambda.
Pour rehausser cette impression, les interprétations sont magistrales, de Lauren Ambrose (peu revue depuis Six Feet Under) en mère meurtrie et un peu trop excessive à Rupert Grint qui excelle en beauf curieux tout en faisant oublier Ron Weasley de la saga des Harry Potter. Le style minimaliste et angoissant, l’atmosphère un peu louche et baroque, des personnages insaisissables, la temporalité, les dénouements avortés, les points de vue, les angles, les moments de doute ou de terreur pure, tout fait de cette série un bel objet d’effroi naturel, d’inconfort potentiel, de doute permanent. Et comme le dit Othello chez Shakespeare, « être dans le doute, c’est déjà être résolu ».
Jean-françois Lahorgue