A chaque nouvelle sortie d’un film Pixar, c’est la même question, la même angoisse : réussite ou trahison ? Avec En Avant, y répondre n’est pas si simple…
Le travail des Studios Pixar a été fondamental durant un peu plus d’une décennie dans l’histoire du cinéma d’animation, d’une importance presque aussi grande que celui des Studios Ghibli. Plus critique encore, leurs films ont accompagné notre vie, et / ou celles de nos enfants d’une manière unique, bien au-delà de ce qu’on attend communément du cinéma de divertissement. Une fois Pixar absorbé par la multinationale Disney, nous n’avons plus eu droit qu’à quelques éclairs du vieux génie, au milieu de films de plus en plus… ordinaires. Jamais vraiment mauvais (encore que Cars 2, Monstres Academy, Arlo ou Dory n’en sont pas si loin…), mais rarement au niveau du passé. Du coup, chaque sortie d’un nouveau Pixar est un moment de doute, de remise en question, presque de déchirement.
En Avant, reconnaissons-le tout de suite, est un Pixar moyen. Un film d’animation correct, sauvé in extremis par dix « minutes Pixar » à la fin, où la complexité et la justesse des émotions renvoient au meilleur du travail du Studio, même si la magie de la fameuse scène (que nous ne spoilerons pas, mais que tout le monde reconnaîtra…) est un peu gâchée par le dialogue qui suit, explicitant à la manière Disney ce qui n’en avait nul besoin. Car, et cela nous dévaste l’âme de le dire, En Avant est plus un très bon film Disney qu’un Pixar, avec son insistance sur un humour permanent ciblant clairement les enfants, et son stakhanovisme de scènes d’action et d’aventure incessantes, laissant peu de répit et de respiration au spectateur. Pire, En Avant est le premier Pixar LAID, à la manière dont à peu près tous les films de la maison Disney depuis un demi-siècle sont d’une laideur affligeante : cette laideur kitsch et agressive, tellement américaine, qui conditionne, film après film, nos chères têtes blondes (ou brunes).
Alors que reste-t-il (de nos amours) ? Un concept intéressant – c’est à cela qu’on reconnaît un Pixar, non ? – qui déplore la manière dont la technologie nous a peu à peu dépouillés de nos talents « naturels » (Qui utilise encore sa mémoire aujourd’hui pour se souvenir de numéros de téléphones pourtant composés plusieurs fois par jour ? Qui essaie de s’orienter dans l’espace ou même de mémoriser des trajets sans son GPS ? etc.). Un film qui montre aussi combien la mercantilisation de notre propre « image », de notre personnalité a vidé celles-ci de leur « sens profond »… Et qui suggère que nous fassions l’effort de retrouver ces capacités perdues, comme ici les fées réapprennent à voler (une très belle idée…). Bien sûr, comme on est aux USA, pas d’appel à la révolte, mais plutôt à un réveil individuel, qu’on voit quand même difficilement changer le monde en profondeur… Par contre, on déplorera que la réflexion sur la mort, qui nourrissait aussi richement l’excellent Coco, soit ici seulement esquissée, mais on comprend que « En Avant » ne pouvait multiplier les thèmes : il y en a déjà beaucoup ici, sans doute trop, même…
Au final, on ne s’ennuie pas devant En Avant, on ne sent pas traités comme des imbéciles comme c’est le cas devant 99% de la production concurrente, on échappe toujours (miracle !) à l’horreur du second degré et des « références pour adultes »… Bref, qui sommes-nous pour oser cracher sur cette petite bénédiction qu’est un bon film pour enfants ? N’oublions pas qu’en face, il y a Trolls 2 de Dreamworks qui essaie de convaincre nos enfants que les rockers sont le Mal absolu, parce qu’ils veulent détruire le monde enchanté de la pop et du RnB…
C’est seulement que nous devrions absolument revoir à la baisse notre niveau d’attente pour le prochain Pixar, Soul, prévu dans quelques mois seulement… Et pourtant…
Eric Debarnot