Avec Dyrholaey, son premier album, le français Thomas Méreur signe un tableau d’une totale délicatesse qui renvoie aussi bien à la scène islandaise qu’à Jan Swerts ou encore Thomas Feiner. Une merveille !
La délicatesse a toujours à voir avec cette proximité avec le gouffre, avec ce petit quelque chose qui vous ferait plonger du mauvais côté, le pas de trop dans la mièvrerie, un soupçon de trop-plein lacrymal. Des disques qui à force de vouloir être parfaits en deviennent maladroits. Mais la maladresse n’est pas toujours un vilain défaut, loin s’en faut. Parfois,elle est même un atout, un supplément de fragilité qui n’en provoque que plus d’empathie pour celui qui pose ses mots (maux), ses notes et sa poésie sur une musique volontiers diaphane. Ces disques qui ressemblent un peu à ces gens qui s’excusent toujours d’être là, ces personnes qui se sentent toujours de trop, ces absences, ces êtres que l’on ne fait qu’apercevoir. Des présences insidieuses qui s’avèrent indispensables.
Dyrholaey, le premier disque de Thomas Méreur est de cette famille-là, de cette sensibilité pourrait-on dire. Car tout au long de ces onze plages contemplatives, il n’est question que d’évocations d’émotions, pas ces petites choses du quotidien mais plus ces fulgurances du coeur, cette douceur si palpable qu’elle en devient violente. De la voix en falsetto du monsieur à son piano fragile, tout se veut symbole et lente évaporation d’une sensation. Le disque est né d’un voyage en Islande et sans le savoir, sans regarder la pochette qui accompagne ces titres, on l’aurait deviné. Thomas Méreur se pose en effet en illustrateur sensible d’une nature qu’il parcourt d’un pas mesuré, il devient lui-même un paysage mi-organique, mi-sonore, mi-granitique. Car composer de la musique, c’est aussi peindre, jouer avec les couleurs, dresser un portrait d’un territoire qui nous survivra.
Dyrholaey raconte l’absence, l’absence à soi et aux autres mais aussi une forme de renaissance encore hésitante, ces instants où le corps reprend son souffle avant une nouvelle fuite. C’est un peu cela que disent ces onze chansons, la reconstruction d’un être, l’apprentissage d’un retour à la vie, la synchronisation d’un pas au rythme du vent, au frisson de la falaise, à la métronomie monotone de la vague, au sable noir qui n’existe pas sans l’érosion des courants.
Mais les paysages d’Islande ne sont pas les seuls à irriguer la musique de Thomas Méreur, on entend tout au long de Dyrholaey quelques clins d’oeil à Olafur Arnalds ou à Sigur Ros. La voix androgyne du pianiste n’est pas sans rappeler celle de Jonsi mais le français s’extirpe des influences tutélaires qui auraient pu engluer le disque dans un énième exercice de redite ou de copie paresseuse. Il est finalement plus proche d’un Wim Mertens qui aurait oublié le minimalisme et l’école répétitive, d’une école impressionniste, d’un Charles-Valentin Alkan, d’un Nicola Piovani polaire.
Car la mélancolie règne tout au long de Dyrholaey, une mélancolie lumineuse, une mélancolie qui tremble, qui sent le froid et réclame la chaleur. On se plait à s’imaginer une réunion possible entre Jan Swerts, Thomas Feiner d’Anywhen, la Pop cousine de Sylvain Texier, de The Last Morning Soundtrack. Sans aucun doute, aucun d’entre eux ne connaît la musique de ses voisins humains, cette fédération d’une sensibilité commune, cette communauté de coeurs ouverts. Et puis les disques constitués d’instants d’éternité sont rares, ils ne sont pas non plus faits pour tout le monde. Certains n’y verront ou n’y entendront que des complaintes quand d’autres y trouveront un chemin à suivre. Parfois, on pensera à un Cascadeur (Alexandre Longo) de nouveau sobre (Mermaids), sans doute la faute à ce piano inventif, visiblement marqué par une éducation classique.
Il faudra insister sur le travail sur la voix sur Dyrholaey où le chant n’est pas seulement une source de sens mais aussi et peut-être avant tout de son, de son comme la traduction d’un sentiment. Une émotion sans filtre et sans le parasite du mot qui mange tout l’espace par sa seule signification, Paradoxalement de cette émotion sans filtre naît un nouveau filtre plus puissant encore, un paravent qui permet de suggérer le temps qui passe, la mort qui rôde, les absents dans les angles les plus sombres d’une chambre (The Road That Leads To Our House). Parfois, Thomas Méreur se fait plus taiseux accompagné de son seul piano (A Steady And Sad Process). Parfois le paysage devient l’émanation d’un appel sans écho, d’une supplique à celui qui ne répond plus (From The Cliff).
Dyrholaey est un objet du mouvement, d’une pulsation de marche, d’une avancée lente et progressive à hauteur d’homme, à la faveur d’un pas, à l’extrême limite d’une respiration, on pourrait bien gravir une montagne,tenter l’expérience de la chute dans le grand vide. Le mouvement ici est aussi bien un acte vers l’extérieur qu’une évasion en soi. Dyrholaey est découpé en deux parties, une plus aérienne, une seconde plus minérale et plus épurée avec une tension sous-jacente permanente (Climb A Mountain) avant une conclusion sibylline (Moving On).
On trouvera dans la musique de Thomas Méreur et dans Dyrholaey une expression, une traduction de ce petit frisson imperceptible que l’on ne s’explique pas face à la beauté d’un paysage, à cette résonance qui ne se dit pas dans nos histoires de vie. L’indicible n’est-il pas la forme la plus précieuse du dialogue entre les êtres ? C’est ce que semble questionner Thomas Méreur, on ne trouvera pas de réponses sur Dyrholaey mais une certaine connivence, une complicité avec son auteur. Ce qu’est toujours un acte de création finalement.
Greg Bod