Les plus curieux d’entre vous avaient peut-être déjà repéré l’italien Andrea Laszlo De Simone avec son premier album Uomo Donna en 2017. Au tour des autres de découvrir son univers large comme une galaxie avec le magnifique EP Immensità.
Quand on pose le nom de l’Italie dans une conversation, on en revient souvent aux éternels clichés, la vivacité d’une langue colorée, la mafia, les chants de Sicile, une Tarentelle endiablée. Mais là où l’on commence à se fâcher, c’est quand on entend dire dans la bouche d’un paresseux que l’Italie n’est décidément pas une Terre de musique. Quid d’Andrea Chimenti, de Vinicio Capossela, de Gianmaria Testa ? a-t-on envie de répondre à l’impudent. Car la langue italienne est un langage absolument musical, absolument destiné à cet art majeur.
Ce ne sera sûrement pas l’univers vaste d’Andrea Laszlo De Simone qui se portera ici en contradiction. Sur Uomo Donna, son premier album sorti en 2017, il installait des paysages qui devaient autant à la pop qu’au psychédélisme, aux années 60 comme à la musique classique. On imaginait aisément un être fantasque, une espèce de Frank Zappa trans-alpin 2.0. Pour autant, on ne limitera pas le monsieur à un phénomène de foire, un freak échappé d’un film de Tod Browning. Chez le monsieur, il y a ce quelque chose d’immédiatement italien, ce lyrisme porté comme un costume blanc, cette dimension boursouflée et égocentrique qui paraîtrait ridicule et dérisoire chez d’autres mais qui le rapproche du meilleur de Christophe ou Sébastien Tellier. Comme les deux cités, Andrea Laszlo De Simone s’amuse de nous, joue avec la désuétude et prend plaisir à rester sur le fil du rasoir. Jamais loin du mauvais goût et jamais dénué d’une élégance inventive, la musique de l’italien ressemble à un gamin qui piocherait un peu au hasard dans une vieille malle remplie d’instruments poussiéreux. Une musique du pas de trop, du moins de la crainte du pas de trop.
Sur Uomo Donna déjà en 2017, on entendait cette obsession pour une variété des années 60 ou 70 sur le casse-gueule mais frissonnant Sogno L’Amore. Immensità prolonge le plaisir avec ces quatre titres amples et inventifs à chaque instant, se dégage alors de ces chansons, plus des hymnes finalement, une étrangeté limpide. On pourrait parler d’une rencontre entre Rodrigo Amarante, Orso Jesenska, Paddy Mann (Grand Salvo) et Left Banke. Ajoutez-y également une volonté à raconter une histoire, une histoire qui se vit indépendamment des mots, un concept qui s’écoule de titre en titre à travers les sons. Une histoire qui a à voir avec les limites et les contingences d’une existence, les étoiles qui continueront de briller longtemps après que nous soyons partis.
Immensità en ouverture installe une scène désuète, une piste de danse à côté d’un lac un soir d’été, une fête étrange et très calme comme dirait Jacques Bertin. Une mélodie vaguement sixties parasitée par une progression d’accords mouvante. La Nostra Fine reste dans une mélancolie seventies mais emprunte cette fois-ci à une Soul blanche qui s’interroge sur les après, les grandes questions, les incertitudes. Mistero est peut-être le titre le plus versatile du disque, démarrant comme un lent décollage cosmique dans des bruits galactiques et post-modernes pour ensuite se décliner en une lente progression répétitive qui enfle toujours plus pour atteindre des espaces frelatés ou hallucinés et s’évaporer en une formule délicate de piano et de dérives enfantines.
Et puis Andrea Laszlo De Simone se plait également à nous perdre de rupture en rupture, de volte-face en volte-face. Cette odyssée musicale qu’est Conchiglie en conclusion de cet Ep bien trop court en est le meilleur exemple. On sait l’italien intéressé également par le travail sur l’image, il réalise actuellement un court-métrage. Conchiglie, c’est un peu comme une suite d’instants de vie en accéléré, un torrent discontinu d’impressions dont on ne comprend pas tout de suite toute la cohérence. Commençant comme une chanson Pop comme en écrivait Lightspeed Champion du temps de Falling Off The Lavender Bridge (2008), Conchiglie ne choisit jamais son camp, malaxe nos nerfs dans ses gants de velours avec cette chute qui renvoie au Bolero de Ravel mais aussi qui se finit dans un grand silence presque pesant, un long blanc avant l’arrêt, le terminus « tout le monde descend« . Remonte alors à la mémoire l’Italie d’un Fellini, les paumés de ses films, les inadaptés solaires, ces frères humains qui nous ressemblent un peu.
Peut-être le nom d’Andrea Laszlo De Simone ne vous disait pas grand chose jusqu’à présent, avec Immensità,il deviendra votre nouveau guide dans des errances incertaines. On attend avec impatience la suite du voyage, à suivre donc…
Greg Bod
Andrea Laszlo De Simone – Immensità
Label : Ekleroshock/Hamburger Records
Sortie le 06 mars 2020
Joli, á la limite entre le kitsch et l’émouvant. A propos, quand vous listez quelques noms de chanteurs italiens de qualité, vous ne citez pas Pino Daniele. A découvrir! Je profite de ce rare commentaire pour vous remercier pour ce blog de haute tenue!