L’un des grands événements de ce premier trimestre 2020 est évidemment le début de la publication en France de la nouvelle saga de Naoki Urasawa, Asadora!, qui voit le maître tenter de retourner aux racines de son Art, et à des émotions simples et essentielles…
Naoki Urasawa est généralement considéré comme l’un des mangakas les plus importants de l’histoire, presque au niveau de son maître Tezuka, grâce à deux œuvres majeures, Monster et 20th Century Boys : deux récits fleuves qui ont marqué leurs lecteurs de manière indélébile grâce à la combinaison d’un graphisme ultra-lisible, d’une mise en scène très cinématographique et de récits fantastiques remarquables, enracinés dans l’histoire (de l’Allemagne pour Monster) ou dans la culture japonaise (pour 20th Century Boys). Mais c’est probablement de par sa capacité à provoquer de l’émotion pure – un peu à la manière d’un Miyazaki dans un autre registre – qu’Urasawa est véritablement exceptionnel.
Après Pluto et Billy Bat, deux œuvres intéressantes, mais nettement en-dessous de ses chefs d’œuvre précédents, Urasawa nous revient donc avec Asadora!, écrit sans l’aide cette fois de son co-scénariste habituel Takashi Nagasaki. Il affirme vouloir retrouver la simplicité humaine de ses travaux de jeunesse – souvent considérés en France comme plus mineurs – sur le sport féminin comme Yawara ! (sur le judo) et Happy ! (sur le tennis). Le titre Asadora ! fait d’ailleurs référence à une série télévisée des années 60 très célèbre au Japon, indiquant la préoccupation d’Urasawa de retrouver les sensations simples d’un feuilleton excessivement populaire…
Et pourtant, surprise, la très brève introduction de ce premier tome publié en France nous renvoie pile dans l’ambiance apocalyptique de 20th Century Boys : voici Tokyo en proie à un incendie colossal en 2020, tandis que l’ombre d’une créature monstrueuse surplombe les rues en flammes ! Cut ! Nous nous retrouvons projetés 60 ans en arrière, en 1959, pour découvrir une petite fille, Asa, qui va être apparemment le personnage central de la saga : une héroïne hardie, courageuse, têtue, intelligente, comme la plupart de celles qui ont déjà peuplé les fictions urasawaïennes… Car le féminisme obstiné d’Urasawa est somme toute assez similaire à celui de Miyazaki : sans tomber dans un « militantisme » excessif, la force de la Femme est une évidence pour lui, lui permettant de remettre tranquillement en question tout un pan de la culture japonaise historiquement très machiste.
Ces 200 premières pages d’Asadora ! vont s’avérer évidemment très riches en rebondissements, puisqu’on y verra Asa se faire kidnapper, puis embaucher son kidnappeur pour aller littéralement « voler au secours » de la population de la ville dévastée par un typhon catastrophique. Elles ne donnent pourtant guère d’indication sur ce que sera le thème de la série, se contentant de présenter des personnages, complexes, ambigus, comme toujours formidablement humains… Il faut attendre littéralement les deux dernières pages de ce premier tome pour revenir sur l’introduction, et pour que nous saisissions – très vaguement – la direction qu’Asadora ! prendra peut-être.
Il n’est d’ailleurs pas interdit de se sentir légèrement déçus par ce premier tome, qui respecte à la lettre la forme désormais bien établie des travaux précédents d’Urasawa, mais qui semble manquer de substance : il ne nous embarque pas aussi franchement que les démarrages des grandes sagas du maître, mais il semble que cela soit une décision mûrement réfléchie, Asadora ! étant a priori conçu pour durer… très, très longtemps… !
Gageons que nous y reviendrons très régulièrement, pour faire le point au fil de la parution des prochains volumes. Et espérons que nous retrouverons au fil des aventures d’Asa – de 1959 à 2020 – les sensations exceptionnelles que firent naître en nous les péripéties tour à tour affolantes et bouleversantes d’un Monster ou d’un 20th Century Boys.
A suivre, forcément !
Eric Debarnot