Aimez-vous The Cure ? Si oui – comme c’est le cas de nombreux Français de tous les âges -, alors The Cure – Paroles de Fans, compilation de témoignages de passionnés du groupe de Robert Smith mise en forme par Xavier Martin vous parlera sans doute de manière très intime.
« It doesn’t matter if we all die / Ambition in the back of a black car / In a high building there is so much to do » (One Hundred Years)
Qu’est-ce qu’un groupe culte ? A partir de quel moment, et en se basant sur quels critères peut-on estimer qu’un artiste atteint une importance telle que son œuvre passera à la postérité ? Qu’est-ce qu’être « fan » à notre époque ? Comment ça s’attrape, ce « virus », pas si bénin que ça, de l’adulation d’une musique, qui nous poussera à dédier de plus en plus de notre temps, de notre attention, et de notre argent à nourrir notre obsession ? Et peut-être plus important, finalement : comment est-ce qu’une œuvre d’art peut impacter un être humain, au point de changer sa trajectoire, sa vie, en influençant son comportement, en déterminant le cercle de ses fréquentations, voire en lui faisant prendre des décisions différentes ? Ce sont là des questions, passionnantes, qui ont nourri Xavier Martin dans la construction de son imposant ouvrage (500 pages, quand même… !) sur The Cure, en grande majorité constitué de citations de « fans » du groupe de Robert Smith, que l’on imagine très bien collectées avec patience et bienveillance par Martin à travers les communautés structurées ou non de fidèles au groupe.
En partant de son expérience personnelle – tout en étant clair qu’il ne figure pas parmi les plus « atteints » des « Curistes » – Xavier Martin a donc interrogé sur leur passion pour The Cure des dizaines de personnes, a priori pour la plupart françaises… ce qui peut être une limitation de son travail, encore que l’on perçoive relativement vite combien les propos de ces « fans » sont véritablement universels. On comprend bien qu’il leur a posé des questions classiques, comme « Comment avez-vous connu The Cure ? Quels sont vos albums préférés et pourquoi ? Quelles sont vos chansons préférées ? Quels sont vos musiciens préférés parmi ceux qui ont joué dans le groupe ? Quelles ont été vos expériences live les plus marquantes ? etc. », et d’autres plus intéressantes, justement, sur l’impact de cette passion sur leur vie. Il a ensuite organisé tout ce matériau par sujet, en accompagnant d’abord une biographie du groupe, déclinée de manière assez « superficielle » au fil des albums – puisque c’est évidemment là la porte d’entrée normale à l’univers du groupe -, puis en explorant plus profondément l’univers du groupe : musique, textes, apparence, etc.
Le résultat de ce travail impressionnant, c’est The Cure – Paroles de Fans, un bouquin formidablement riche, puisque l’on a le sentiment que toutes les thématiques que soulève le groupe sont couvertes de manière exhaustive, ce qui permet de comprendre de manière profonde l’impact de la musique de Robert Smith sur ses auditeurs, en mettant des mots, parfois simples et stéréotypés, mais la plupart du temps très justes et formidablement sincères sur ces sensations que « nous » partageons tous plus ou moins. « Nous », qui sommes aussi, sinon fans, du moins familiers de l’œuvre de The Cure, car il est peu probable que le livre soit réellement intéressant, voire même compréhensible pour quelqu’un qui n’aurait jamais entendu, voire même écouté avec attention Pornography ou Disintegration. Le charme de The Cure – Paroles de Fans tient beaucoup au fait que nous nous y reconnaissions très souvent, que nous nous disions : « Tiens, j’aurais pu dire ça moi-même ! » ou bien au contraire « Moi, je n’ai pas vécu ça de cette manière-là ! ». Ce qui fait qu’on le refermera en se sentant conforté dans son amour pour ce groupe peu conventionnel, voire même désireux d’aller réécouter une chanson ou un album à côté duquel on aura désormais la sensation d’être passé… Ce qui, quelque part, montre que le pari de Xavier Martin est bel et bien tenu : l’amour est transmis, et nous nous comprenons un peu mieux, en nous sentant un peu moins seul aussi, du coup.
Les limites évidentes de l’approche sont l’absence d’informations réellement nouvelles sur le groupe (ce n’était pas le but, mais on aimerait forcément en apprendre davantage sur Smith et consorts), l’accumulation parfois épuisante de commentaires très répétitifs (oserait-on prétendre que le livre aurait pu être réduit de moitié sans perdre aucune substance, et en serait devenu bien plus digeste ?), mais aussi l’absence d’une mise en perspective de toute cette adoration, qui permettrait d’approfondir ce phénomène troublant d’appropriation émotionnelle d’un univers artistique par des dizaines de milliers d’individus : on sent bien pourtant que Xavier Martin, qui écrit bien, a la capacité de faire ce travail-là, mais il a clairement préféré s’effacer derrière la parole des autres. C’est un choix respectable, mais on attendra son prochain livre, où il pourra soit parler plus de lui-même et de son amour pour la musique, soit au contraire aller plus en avant dans sa réflexion sur la passion des fans. C’est un défi qu’on lui lance.
« No one lifts their hands / No one lifts their eyes / Justified with empty words / The party just gets better and better / I went away alone / With nothing left but faith / I went away alone / With nothing left but faith » (Faith)
Texte : Eric Debarnot
Photo : Robert Gil