June est une jeune femme engluée dans des situations typiques de sa génération et de notre temps. Fabcaro et Evemarie nous font rire avec elle de son quotidien, au rythme de la musique des Beatles. Est-ce suffisant ?
Les Beatles sont universels, et ils semblent bien être immortels, en plus. En tous cas, ils restent toujours une sorte de bande-son idéale de notre vie, les tourments et les interrogations ayant servi de point de départ à leurs chansons restant d’une modernité intacte. Tout cela pour dire que c’est évidemment une excellente idée que d’utiliser les titres des chansons des Beatles comme titre – et commentaire décalé – de chacun de la centaine de gags très courts (une page, trois cases, un vrai défi…) qui constituent ce Hey June de Fabcaro – très « dans le vent », lui aussi, ce garçon – et Evemarie.
Hey June est, curieusement, un livre qui divise : certain(e)s s’y reconnaissent et le trouvent « génial », d’autres déplorent la facilité de cette description superficielle du mal-être de ces trentenaires urbains largement paumés, qui sont devenus une sorte de stéréotype bien utile au cinéma français dit populaire pour produire des comédies faciles. Il faut admettre qu’on ne rit pas à chaque page – le contraire serait miraculeux -, mais il faut être de bien mauvaise foi pour ne pas admettre qu’on a quand même éclaté de rire une bonne dizaine de fois en lisant « Hey June« . Et qu’on a trouvé June, telle que représentée par Evemarie d’un joli trait clair et efficace, bien craquante.
Finalement, le plus gros défaut de ce Hey June, ce n’est pas de tirer une nouvelle fois sur des ficelles déjà bien usées, c’est de ne jamais dévier d’un pouce de son programme humoristique, à la fois malin et blasé : cette autodérision systématique, pour amusante qu’elle soit, ne saurait constituer un portrait convaincant. Il manque à Hey June ce supplément d’âme, cette émotion qui devrait surgir çà et là et nous confirmer qu’on a bien affaire ici à de « vraies personnes », qui pourraient créer un minimum d’empathie chez le lecteur. Ou alors, autre piste possible, on aurait aimé que Hey June nous surprenne, nous dérange, nous interpelle… Que l’humour « déborde de ces cases trop formatées », devienne violent, ou absurde, ou grotesque, ou explosif : mais Fabcaro réserve sans doute son sens de la déraison à ses œuvres personnelles, et s’est offert ici une simple promenade de santé dans un univers sans danger.
C’est dommage.
PS : Un commentaire inutile bien typique d’un fan des Beatles : les auteurs s’aliènent involontairement une partie de leur lectorat par deux fois… D’abord en reliant sur la couverture la chanson Hey Jude à la pochette de A Hard Day’s Night (sans parler du passage inexplicable du format 4×4 parfait à un 3×4 déséquilibré). Ensuite en faisant de l’impeccable Ringo Starr une sorte de symbole récurrent de la maladresse. Deux mauvais points !
Eric Debarnot