On attendait un peu l’ami Baxter Dury au tournant après la réussite du majestueux Miami. On a eu tort de se faire du souci, car The Night Chancers est un album majeur, basé sur des textes formidables brillamment mis en musique…
Il faut le reconnaître : si Baxter Dury n’est pas le musicien le plus brillant de notre époque, si ses performances vocales frisent le ridicule, et si sur scène, il n’est guère intéressant, il est par contre l’un des plus formidables conteurs d’histoires que nous ayons en ce moment. Oh, pas des histoires épiques et puissantes comme celles d’un Nick Cave, mais plutôt le genre de petites vignettes que savait créer le grand Ray Davies à la meilleure époque des Kinks : soit une description très simple mais très juste de l’état de la société, voire même de la condition humaine dans cette société. Mais la particularité de l’art narratif de Baxter Dury, c’est sa maîtrise parfaite du monologue intérieur, qui lui permet de recréer de manière réellement étonnante les états d’âme de ses personnages, de partager avec nous en quelques mots le désastre d’une existence ou la simple médiocrité de pensées banales. Et ça, c’est du GRAND ART !
Prenez I’m not your Dog, cette formidable ouverture de The Night Chancers, aux teintes électroniques qui peuvent rappeler la réussite du projet B.E.D. avec Etienne de Crécy : « Some people like to show / Some people like to watch / I watch a bit too much / You show too much »… Difficile de faire plus simple mais plus efficace dans la description d’une relation amoureuse pas forcément partie pour durer. « Je ne suis pas ton chien » a remplacé dans le désert des sens de 2020 le « I wanna be your Dog » des Stooges, être punk ou pas n’est plus la question. Cette chanson aussi courte que parfaite explicite clairement où va se situer l’enjeu du disque : encore une fois les relations amoureuses, ce champ de bataille contemporain des sociétés post-modernes. Largué par sa belle à l’époque de « Miami » – ce qui nous avait valu son plus bel album -, l’ami Baxter a repris sa place dans le jeu de la séduction et de l’humiliation, et il va nous raconter en détail tout ce qui se passe, ou au moins ce qui peut se passer…
… Comme dans l’extraordinaire Carla’s got a boyfriend, qui le voit espionner, et peut-être même harceler le nouveau petit copain de son ex- : « Carla’s got a boyfriend / Bit of designer hair / Sloppy facial looks / Carla’s got a boyfriend / I might take care of him, to be honest / … / Carla’s got a Problem / Carla’s got a Boyfriend / He looks like me ». Bien sûr, c’est infiniment drôle, mais d’une manière aussi sensuelle que profondément sordide… soit exactement là où Baxter Dury excelle : dans cette élégance décontractée mais crapuleuse, voire carrément louche… Et Baxter ne recule jamais devant la goutte d’eau saumâtre qui fera déborder le vase moisi, pourvu que le résultat soit drôle. Il met des halètements féminins pré-orgasmiques sur Samurai, il n’hésite jamais devant une grossièreté bien envoyée. Mais surtout, derrière l’humour déployé comme un bouclier, il regarde en face la réalité de l’Amour et du Sexe : ce n’est guère brillant, mais peu importe finalement, puisqu’il peut y chaparder quelques secondes de plaisir. Et puisque nous, nous pouvons aussi danser sur ces chansons aussi sexy que dramatiques…
Danser, oui : car The Night Chancers, s’il ne se distingue pas franchement de Miami (on peut d’ailleurs trouver que Slumlord, en dépit de sa description ironique et sans pitié de l’obscénité des « marchands de sommeil », sonne un peu trop comme une redite par rapport à l’album précédent…), voit Baxter Dury aller plus franchement chercher le groove qu’auparavant… Et enrichir notablement la palette sonore de ses chansons de nouveaux instruments (le saxo sur Hello, I’m Sorry), de nouvelles expériences (lorsque le narrateur adopte quasiment un flow hip hop sur The Night Chancers…).
Pourtant, à la fin, il faut bien revenir là où nous avons débuté cette chronique : aux mots, aux histoires, qui sont véritablement l’essence de l’Art de Baxter Dury, la musique n’étant finalement qu’un support, pas si important que ça. Say Nothing, la dernière chanson de ce disque frisant carrément le « concept-album », nous donne alors la meilleure nouvelle qui soit : « « Baxter loves you! » ».
Nous aussi, on t’aime, Baxter ! Nous aussi…
Eric Debarnot