Quoi de mieux en cette période de confinement que de profiter de notre « temps libre » pour découvrir des séries TV que l’on avait manquées à l’époque de leur sortie ? Commençons notre exploration par ce Mr. Mercedes, excellente surprise au milieu de tant d’adaptations ratées de Stephen King…
Mal distribuée, peu vue et quasiment pas commentée en France, Mr. Mercedes s’avère pourtant – au moins en ce qui concerne sa première saison – l’une des toutes meilleures adaptations d’un livre de Stephen King jamais réalisées à date. Qu’il s’agisse de l’une des rares tentatives (pas très réussie d’ailleurs…) de la part du maître de Bangor de sortir du genre fantastique n’est peut-être pas étranger à ce succès…
Sur une trame des plus classiques, puisque King y raconte le duel entre un policier alcoolique à la retraite et un criminel psychopathe qu’il n’avait pas réussi à arrêter, Mr. Mercedes nous parle avant tout de la solitude des êtres dans une société qui exclut à tour de bras les plus faibles, et porte un message humaniste (et politique) : rester seul face à l’injustice du monde ne peut vous conduire qu’à la haine et la folie – c’est le calvaire de Brady, sans doute le plus beau (et touchant) personnage de méchant de l’oeuvre de King. A l’inverse, lutter ensemble, se regrouper au-delà de nos différences raciales, sociales, intellectuelles, démontrer de l’empathie envers l’autre nous sauvera… peut-être.
La grande intelligence de la série est d’avoir encore accentué les aspects psychologiques (en particulier à travers le très beau personnage de Holly Gibney, bien mieux traité ici que dans le récent Outsider…) et politiques (il est rare de voir représentés aussi crûment à l’écran la misère banale des classes sociales américaines les plus basses) du roman. Et d’avoir réussi ce portrait superbement humaniste d’une Amérique à la dérive sans sacrifier pour autant le thriller : la série est de ce fait clairement supérieure au livre, dont elle arrive à clarifier le propos sans d’édulcorer pour autant. L’éprouvant massacre initial est certes moins traumatisant, mais ce refus du spectaculaire au profit de l’émotionnel fait plutôt honneur au travail d’adaptation.
Car le mérite de la réussite de Mr. Mercedes – produit par Stephen King lui-même, il faut le souligner – doit être attribué au talent du « dream team » mis en place : ni plus ni moins que Dennis Lehane, qu’on ne présente plus, et David E. Kelley (l’un des auteurs les plus respectés de la télévision américaine) au scénario, Jack Bender, pilier de Lost à la réalisation, et le colossal Brendan Gleeson dans le rôle principal… Une équipe qui a donc fait le choix de la complexité et de l’ambiguïté, réaffirmant la capacité de la meilleure série TV contemporaine de proposer des spectacles « adultes » : comment par exemple ne pas ressentir de la compassion pour le personnage du monstre, parfaitement incarné par l’excellent Harry Treadaway, avant tout victime de sa position sociale et de circonstances accidentelles ? Comment ne pas applaudir sa revanche cruelle envers un facho suprématiste et homophobe ? Et comment ne pas avoir honte ensuite de l’avoir fait ?…
On remarquera que la grande majorité des modifications apportées à l’histoire l’enrichissent et la densifient, ce qui est là encore inhabituel, même si l’on regrettera forcément le remplacement de la menace terroriste sur une salle de concert par des circonstances plus « anodines » : il faut dire que la réalité ayant confirmé avec les attaques du Bataclan et de Manchester l’intuition de King, recréer cette scène aurait été délicat…
Après dix épisodes impeccables, nous voici donc prêts à poursuivre avec optimisme le visionnage de cette étonnante série, qui s’attaque ensuite aux deux autres tomes de la trilogie Finders Keepers.
Eric Debarnot