En se moquant de l’Amour, et surtout de nous tous qui en rêvons toujours mais sommes incapable de le donner, Mazurie nous fait rire et honte à la fois. Encore un petit effort néanmoins pour atteindre le niveau d’un Reiser, par exemple.
Quel est le pire des virus ? Celui qui contamine 99% de la population terrestre et qui laisse 99% de victimes derrière lui, sous la forme de vies détruites et d’espoirs dévastés, de rancœurs infinies et de haines infernales, et celui que tout le monde veut pourtant attraper coûte que coûte ? L’amour bien sûr. L’amour qui fait vendre plus de films, de musique, de livres, sans parler de tous ces objets inutiles que l’on s’offre en cadeau quand on aime (… alors que, comme le montre si bien Jean-Christophe Mazurie sur la couverture de son Torrents d’amour, tout ce qu’on veut dans le fond, c’est « tirer un coup »… qu’on soit homme ou femme d’ailleurs, et c’est une chose formidable que notre époque nous a apprise…!).
Bon, le dessin de Mazurie est un goût que l’on se doit d’acquérir, et il nous faut avouer avoir encore du mal avec certaines têtes de personnages, sans parler de ces étranges poses « le nez en l’air » qu’il est quand même difficile de juger crédibles. Mais bon, livre après livre, on s’habitue. Et cela ne gâche nullement le propos de Torrents d’amour qui nous offre de rire de nous-mêmes, de nos stratégies amoureuses dérisoires, de notre naïveté frôlant l’imbécillité, de notre facilité impudente à mentir. Que nous soyons jeunes amoureux tous frétillants d’espoir ou vieux couple laminé par trop d’années de vie commune ennuyeuse, Torrents d’amour est pour nous : ce livre nous fera rire et nous fera honte à la fois, ce qui est toujours la preuve qu’une caricature touche juste.
Si Cassavetes, avec sa générosité et sa passion, trouverait sans doute à redire sur le fait que Mazurie ait repris le titre de l’un de ses films pour illustrer ce qui est avant tout un catalogue de vilenies en tous genres, le reste de l’humanité devrait être reconnaissante à l’auteur pour sa lucidité, et sa capacité à transformer l’horreur humaine en gags désopilants. Tout n’est pourtant pas réussi dans Torrents l’amour, il y a une répétitivité dans certaines idées, certains gags qui n’apportent rien, et il subsiste encore un certain des stéréotypes qui sont désormais dépassés quant aux rôles respectifs de l’homme et de la femme : on remarquera néanmoins que Mazurie met en scène pas mal de quinquagénaires, voire de personnes plus âgées, ce qui justifie sans doute cet attachement à des postures d’un autre temps – l’homme obsédé par le cul, la femme espérant envers et contre toute logique la venue d’un « prince charmant »…
Mais quand Mazurie est bon, il s’approche de la violence géniale d’un Reiser : prenez par exemple le dernier gag, excellent, qui clôt le livre, et souvenez-vous, Reiser nous avait appris que le moignon, réalisé à la hache plutôt qu’à la tronçonneuse, s’avère parfait pour le fistfucking ! Bon, Mazurie n’en est pas encore arrivé à ce niveau-là, mais ça pourrait venir…
Eric Debarnot