Dans la continuité de ses albums précédents, mais tentant maladroitement des expérimentations formelles, I am Not a Dog on a Chain montre un Morrissey toujours combatif malgré une inspiration très irrégulière…
Il y a de quoi hurler de rire, ou au moins, si l’on n’est pas d’humeur, s’étonner lorsque retentissent les premières notes de Jim Jim Falls, l’introduction de I am Not a Dog on a Chain, le nouvel album de Morrissey : c’est bien un beat électronique et des synthétiseurs qu’on entend, avant que le Moz attaque l’une de ces habituelles mélodies qu’il nous recycle systématiquement depuis la séparation des Smiths. Qu’est-il donc arrivé à « Hang the DJ ! » ? Plus sérieusement, cette orchestration surprenante indique surtout que, face à son effacement progressif, mais inéluctable depuis le temps qu’il est engagé, de la liste des artistes pertinents, Moz et ses producteurs réagissent de la manière la plus ridicule qui soit, en actualisant un son qui n’en a jamais eu besoin : on a toujours attendu du Moz plus de subtilité que ses agressions rockab’, et il persiste à nous répondre en augmentant la démesure de sa production. Cet aspect « bigger than life » fonctionnait d’ailleurs sur Low in High School, qui bénéficiait de plusieurs chansons brillantes, mais il n’est pas sûr que ce I am Not a Dog on a Chain s’avère avec le temps aussi attachant… Même si les fans qui n’ont pas lâché la rampe ne pourront pas se plaindre, s’ils arrivent à ignorer les étrangetés – les maladresses, dirons-nous, même de la production : le crooning du Moz reste efficace, voire superbe par moments quand il monte en intensité, certains textes restent hilarants, et il y a une moitié de chansons plutôt bien écrites (la première moitié de l’album, qui s’effondre assez dramatiquement dans sa seconde partie).
Il faut toutefois parler de « l’éléphant dans la pièce », c’est-à-dire les opinions politiques détestables de Morrissey, soutenant désormais l’extrême-droite et multipliant son soutien à la frange la plus raciste de la Grande-Bretagne. Considérant l’importance que les Smiths eurent sur et la psyché et les opinions de tant de jeunes personnes de leur génération, cet effondrement moral de Morrissey est vécu par tous comme une trahison déplorable de tout ce qu’il a pu jamais représenter… Et justifie complètement que beaucoup d’entre nous, qui l’avons tant aimé, boycottions désormais ses concerts. Faut-il donc écouter I am Not a Dog on a Chain ? Vous pouvez être à peu près rassurés, point de propos nauséabonds ici, même si l’on peut toujours avoir une lecture « anti-politiquement correcte » des affirmations / provocations de la chanson-titre : « I am not a dog on a chain / I use my own brain / I can turn the conversation off / I’m too clever to be robbed / … / raise my voice, I have no choice / I raise my hand, I hammer twice / I see no point in being nice » (I am not a dog on a chain).
Car provocateur, le Moz l’est toujours, et pas seulement dans ses orchestrations baroques, mais surtout dans ses textes qui peuvent faire grincer quelques dents : « If you’re gonna jump, then jump / Don’t think about it / If you’re gonna run home and cry / Then don’t waste my time / If you’re gonna kill yourself / Then to save face / Get on with it », le refrain de Jim Jim Falls ne fait pas particulièrement preuve d’empathie… Remarquez, il se rattrape tout de suite après avec Love is on its way out – peut-être la meilleures chanson du disque – et son magistral : « Did you see the headlines? / Did you see the grablines? / Did you see the nerve-gassed children crying ? / Did you see the sad rich / Hunting down, shooting down elephants and lions? »… Et c’est bien ça le malheur avec Morrissey, d’une chanson à l’autre on peut l’aimer de nouveau, et puis, trois minutes plus tard, le trouver tellement lourd, tellement pénible !
Prenons la conclusion de cet album bancal : The Secret of Music est un looong moment d’expérimentation qui n’a pour lui que le fait même d’être… expérimental, ce qui est franchement une nouveauté chez Morrissey, et dont on sait tout de suite qu’on le sautera systématiquement à chaque écoute de l’album. Mais la dernière chanson, My Hurling Days are Done, est la première où quelque chose de la vérité de Morrissey s’exprime… enfin : « Mama, mama and teddy bear / Were the first full firm spectrum of time / Now my hurling days are done / And there’s no one to tell and there’s nowhere to run / …/ Oh, Time, No friend of mine ! ». L’émotion est là. Enfin. Trop tard.
Eric Debarnot