[Ciné Classiques] The Party : le chef-d’œuvre burlesque de Blake Edwards

Coup de projecteur en trois axes sur The Party le classique de Blake Edwards avec Peter Sellers, et Claudine Longet, pour partager en famille un moment de comédie très inventive.

the party

Biographie

«J’ai vu Dieu, et vous savez quoi : il écrit des blagues !». Cette réplique de L’amour est une grande aventure (1988), tourné par Blake Edwards, résume le fatalisme comique de l’acteur-scénariste-réalisateur-producteur. Dès sa naissance, le 26 juillet 1922 à Tulsa (Oklahoma), il est exposé au virus cinématographique par son grand-père Gordon Edwards – réalisateur de films muets – et son beau-père Jack McEdwards, metteur en scène de théâtre et producteur. Bercé par les films de Laurel et Hardy et de Charlie Chaplin, il débarque en 1925 à Los Angeles. Dès 1942, ses études secondaires terminées, il enchaîne les petits boulots au sein de différents studios avant de s’engager comme garde-côte, et se blesser gravement au dos. Figurant, il tourne dans une trentaine de productions mais abandonne ce métier pour se consacrer à l’écriture de scénarios pour la radio puis la télévision, avec deux séries notables, Peter Gunn (1958), et Mr Lucky (1959), dont les splendides partitions jazz sont signées Henry Mancini. Sa véritable aventure derrière la caméra débute en 1959, avec le satirique Opération jupons, et l’élégante comédie dramatique Diamants sur canapé (1961), avec la délicieuse Audrey Hepburn. Ces succès sont amplifiés en 1963 avec La Panthère rose, comédie policière désopilante décrivant les péripéties de l’inspecteur Clouseau, interprété par Peter Sellers, bien accompagné par le célèbre thème musical de Henry Mancini. Ces gaffes rocambolesques seront déclinés en huit films sur trois décennies. Malgré sa dépendance à l’alcool, le cinéaste poursuit cette période faste avec La Grande course autour du monde (1965), The Party (1968), le western Deux hommes dans l’Ouest (1971), Elle (1979) dont le rôle principal est tenu par Julie Andrews, devenu sa femme depuis le  tournage de Darling Lili en 1970) ; puis Victor, Victoria (1982), That’s life (1986) et Boires et déboires (1987). Son talent éclectique est mis en lumière en 2004 avec un Oscar d’honneur remis par l’acteur Jim Carrey. Atteint d’une pneumonie aigüe, Blake Edwards s’éteint le 15 décembre 2010, à Santa Monica.

Contexte

Août 1957, les frères Marvin et Harold Mirisch fondent leur société de production et signent un contrat avec la société mère, United Artists, avec laquelle ils vont produire cinquante-huit films. A la recherche de nouveaux réalisateurs, ils engagent en 1963 celui qu’ils considèrent comme l’héritier naturel du metteur en scène Billy Wilder, avec lequel ils ont connus d’immenses succès ; citons notamment Certains l’aiment chaud (1959) et La Garçonnière (1960). D’emblée, cette collaboration est une réussite : sortent les deux premiers volets de La Panthère rose, en 1963 et 1964. Fort de son double triomphe, Blake Edwards leur soumet l’idée d’un film muet avec Peter Sellers, avec lequel il est pourtant brouillé depuis quatre ans. Le projet initial se fond dans The Party et scelle leurs retrouvailles. Sorti le 4 avril 1968, ce long métrage électrise les salles obscures par un feu d’artifice continu d’éclats de rires.

Désir de voir

« J’ai eu une enfance pourrie. J’ai découvert que le seul moyen de m’en sortir, le seul moyen d’exister, c’était de trouver le comique de la tragédie. La meilleure catharsis qui existe, c’est le rire »,  confie Blake Edwards. Inspiré par le cinéma muet – Laurel et Hardy, Charlie Chaplin, Buster Keaton The Party constitue un défi exceptionnel qui repose sur une structure scripturale d’une soixantaine de pages seulement, maigre scénario à l’intrigue minimaliste qui encourage les acteurs à l’improvisation. Jusqu’à l’outrance. Minutieux, le metteur en scène chronomètre les gags, mais laisse ses comédiens inventer leurs dialogues. Pour combiner au mieux improvisation et précision, le réalisateur, tout en contrôle, revoit les plans directement sur le plateau dès qu’ils sont tournés. Il plaque une caméra de télévision contre celle de cinéma, et enregistre sur bande ce qu’il filme sur pellicule. Pour la première fois, un cinéaste à recours au moniteur vidéo pour revoir la scène immédiatement après l’avoir mise en boîte, et dans le même cadrage. Cette révolution change également la narration du film, innovation saluée particulièrement par Francis Ford Coppola. Dans un décor de villa entièrement construit pour le film à hauteur de 200 000 dollars – un record pour l’époque – Blake Edwards suit Peter Sellers, véritable maestro de l’improvisation, dans une suite de situations cocasses qui vont crescendo sous l’exaltante bande sonore très présente de Henry Mancini. Cette collaboration stimule le récit. « L’un électrisait l’autre, et vice-versa », déclare le co-producteur Walter Mirisch. Le metteur en scène crée le suspense en étirant les scènes pour augmenter l’impatience du spectateur, et utilise plans séquences virtuoses et profondeur de champ tel un arpenteur de génie. Déconcertant ! Il s’agit tout autant d’un enthousiasmant hommage à Jacques Tati – dans le sens où chaque acteur, source de comique, observe ou est observé – qu’une parodie de La Nuit (1961) de Michelangelo Antonioni, mais en version Hollywood. Ce chef-d’œuvre burlesque reste une source inépuisable pour certains personnages devenus célèbres à la télévision : on citera Mr Bean et Les Deschiens. Mais aussi pour des réalisateurs comme Jay Roach (Austin Powers, 1997) et Paul Thomas Anderson (Punch-drunk love, 2002). Quoi qu’il en soit, une réjouissante œuvre inclassable et indispensable, tant elle dépeint l’ère du temps avec tendresse et drôlerie. Entrez dans The Party !

Sébastien Boully

THE PARTY
Film américain réalisé par Blake Edwards
Avec Peter Sellers, Claudine Longet, J. Edward McKinley
Genre : Comédie
Durée : 1h39
À (re)voir en Blu-ray/DVD (MGM/PFC)