La Plateforme, petit film de SF « intelligente » diffusé sur Netflix, s’avère un conte politique dont la pertinence est assez désolante.
L’apologue, qui consiste à passer par la fiction pour véhiculer un discours moral, trouve toujours sa force dans la capacité à construire une image. Le recours à l’allégorie, la personnification ou la métaphore lui permet ainsi de concrétiser des concepts, en parlant au plus grand nombre (les fables pour les enfants, par exemple) et en alliant à la puissance des idées la persuasion de l’émotion ou de l’esthétique.
La Plateforme a parfaitement saisi cet atout, en imaginant ce conte politique imaginant un lieu unique, « Centre vertical d’autogestion », une fosse carcérale dans laquelle un même repas descend progressivement d’un niveau à l’autre, laissant à ceux du bas les miettes des mieux lotis des étages supérieurs. Matérialisée dans le béton concret et orthonormé, la métaphore de la structuration sociale est on ne peut plus claire, et le spectateur ne peut qu’avec désolation constater l’actualité toujours vivace d’un tel constat.
On pense bien évidemment à d’autres récits d’anticipation, comme le déterminisme social porté sur l’architecture dans Metropolis, sur son horizontalité dans Snowpiercer, ou, du point de vue de l’esthétique, aux explorations faites par Tsai Ming Liang dans The Hole. Mais la particularité de ce film espagnol est de prendre à bras le corps l’exploration politique, et non de faire de la lutte des classes un prétexte à une baston généralisée ou perverse, comme chez Bong Joon-ho ou Ben Wheatley dans High Rise.
Le film parvient ainsi à mettre très rapidement en place sa dimension dissertative, et se révèle, dans sa première partie, assez fascinant dans toutes les problématiques qu’il explore : celle de la mécanique d’une structure et de son influence sur les individus, la manière dont la frustration génère le mépris lorsqu’on se retrouve projeté au niveau supérieur, la violence inhérente à toute forme de hiérarchie, et la lucidité avec laquelle on envisage les pires extrémités. Les différentes positions (l’acceptation, l’idéalisme d’une solidarité spontanée, le recours à la force pour imposer ce qui paraîtrait moral) s’enchaînent avec fluidité, comme le feraient les différents chapitres d’une synthèse sur les régimes politiques, et la méthode envisagée pour envoyer un message à une autorité aussi invisible que muette est habile.
Le film n’oublie néanmoins pas sa dimension horrifique, cherchant peut-être à satisfaire une autre frange du public. Ce point, plus dispensable, construit une autre gradation dans la violence et le gore sur un mode plus attendu, censé accroître une tension et des émotions qui étaient pourtant bien présentes dès le départ.
On pourra reprocher au récit de ne pas savoir se conclure : mais c’est justement dans sa propension à ouvrir le débat qu’il est le plus intéressant. La multitude de pistes évoquée dans cette descente aux enfers construit un parcours introspectif dans les couches sociales qui se garde bien de mettre en place une autorité politique supérieure à même de donner un leçon ou une solution.
On retiendra néanmoins les vertus de la lecture, des rudiments de morale, des ébauches de ce qui permet à un individu de rester encore humain, et ce constat pour le moins lucide : on ne peut envoyer la merde vers le haut.
Sergent Pepper