Rêverie évanescente sur la possibilité d’un monde sans murs, sans barrière, Migration of Souls voit M. Ward évoquer les fantômes musicaux d’un passé meilleur.
« Sailing on past / Space and time, that’s / How I’ll get back to you » (Migration of Souls)
Dixième album studio déjà pour Matt Ward, qui passa il y a déjà une dizaine d’années près d’un vrai succès commercial grâce à She & Him, son projet avec l’actrice Zooey Deschanel, mais qui s’est réfugié depuis dans une musique indie sinon plus confidentielle, du moins plus discrète… Et ce n’est probablement pas Migration of Souls qui le projettera de nouveau sous les feux de la rampe, tant cet album fait le choix d’une subtilité, d’une légèreté, voire même d’une évanescence peu propices à la reconnaissance générale.
Enregistré à Montréal chez Arcade Fire, avec la collaboration de Tim Kingsbury et de Richard Reed Parry, Migration of Souls n’a pourtant pas grand-chose de commun avec le lyrisme qui a fait la réputation des Canadiens : nous sommes ici plutôt sur le territoire tout en clair-obscur de l’intimisme, du rêve-éveillé… qui peut, admettons-le, s’apparenter facilement à un manque de substance si l’on ne prête pas trop attention au thème de l’album. Car, même si la plupart des textes font le choix de l’ambiguïté, de la « licence poétique », le projet de M. Ward s’avère, derrière sa discrétion, passablement ambitieux : ni plus ni moins que reprendre les souvenirs de son grand-père, immigrant mexicain dans les années 20, et les mettre en perspective d’un rêve futuriste d’un monde qui serait enfin ouvert à tous. Un monde où la chaleur humaine, où la proximité « physique » – tranchant avec la froideur de la communication globale digitale – engendrerait à nouveau un avenir radieux : idéalisme, optimisme dans notre monde occupé depuis pas mal d’années à construire des murs pour nous séparer (sans même parler de notre isolement forcé pour cause de pandémie…)… voilà presque un album « fantastique », de pure anticipation !
Pour ceux qui n’auraient néanmoins pas envie de se perdre dans les rêveries de notre poète, Migration Stories est aussi – et peut-être surtout – un bel album nocturne, traversé parfois de brefs éclairs de lumière. M. Ward renonce ici à son goût pour les productions sophistiquées, tire humblement son chapeau aux pionniers du folk et du rock’n’roll, va se balader du côté d’une dream pop contemporaine dont on ne lui connaissait pas aussi franchement le goût. Migration Stories plaira aux nostalgiques de Mazzy Star et des Cowboy Junkies, aussi bien qu’aux indécrottables romantiques qui ne jurent que par les premiers enregistrements des pionniers du folk et du rock’n’roll… sans même parler de Glenn Miller dont M. Ward reprend le Along the Santa Fe Trail.
Mais il enchantera sans doute aussi tous ceux qui ont besoin, une fois la nuit tombée, de rêver à un monde meilleur, alors que la nuit descend sur la ville endormie.
« Tomorrow’s out of my range / Here now is all there is to know / We shut the door on yesterday » (Coyote Mary’s Traveling Show)
Eric Debarnot