The New Abnormal, avec son titre programmatique, pose une bonne question : Qu’est-ce qui, en 2020, pourrait bien constituer un BON disque des Strokes ? Mais échoue, logiquement, à y répondre.
Le énième retour des Strokes, après une décennie perdue, a engendré l’excitation attendue (un concert à l’Olympia sold out en quelques minutes, mais dont personne n’est ensuite sorti particulièrement enthousiaste…), la question était de voir si Julian Casablancas & Co étaient capables de nous proposer avec The New Abnormal un album digne de ce nom…
The Adults are Talking constitue une vraiment belle ouverture, une chanson qui monte en intensité et qui nous fait dresser à nouveau l’oreille. Qui prouve que les Strokes savent encore commencer un album avec grâce, ou tout au moins en générant cette excitation que nous attendons d’eux. Mais, autant l’avouer tout de suite, ça ne durera pas… Il est d’ailleurs tout-à-fait permis d’avoir une lecture « méta » du « They will blame us, crucify and shame us / We can’t help it if we are a problem / We are tryin’ hard to get your attention » qui a du coup le mérite de la lucidité : mais qu’est-ce qui, en 2020, pourrait bien constituer un BON disque des Strokes ?
Si le falsetto de Casablancas est incroyablement pénible (Selfless, Eternal Summer), et nous fait dire qu’il devrait prendre des cours chez Alex Trimble, le reste du temps, son chant est bien tout ce qui sauve l’album de l’ennui plus ou moins profond qui guette l’auditeur au fil de chansons beaucoup, mais beaucoup trop longues. Ou pire, de chansons – comme un Brooklyn Bridge to Chorus qui devient pesante à force de se perdre en chemin – semblant constamment à la recherche de leur propre signification.
Il faut avouer que le nom de Rick Rubin à la production laissait espérer autre chose que ces plaisanteries électroniques, ces claviers omniprésents, toutes ces fioritures qui éloignent le groupe d’une possible « vérité » qu’il peine à retrouver, même en répétant dans ses compositions les formules qui lui réussirent si bien à ses débuts (At the Door, du Strokes millésimé…). La majorité des chansons de The New Abnormal évoquent franchement le calvaire d’un groupe qui n’a rien à dire – et si nous sommes honnêtes, n’a sans doute jamais eu grand-chose à dire, une fois passée l’excitation d’un premier album dont la réussite ressemble de plus en plus à un pur coup de chance…
Paradoxalement, c’est quand il se clôt sur une triplette de ballades convenues (Why are Sunday’s So Depressing?, Not the Same Anymore, et le réellement très joli Ode to the Meds en conclusion…) que The New Abnormal touche le plus juste : comme si reconnaître qu’ils n’ont rien d’original à nous proposer permet au moins aux Strokes d’écrire des chansons, certes sans ambitions, mais honnêtes…
« I didn’t know, I didn’t care / I don’t even understand / Did somethin’ wrong, I wasn’t sure / Stay on top of this, or else / I was afraid, I fucked up / Yeah, yeah, yeah / I couldn’t change, it’s too late », tel est le constat sans appel que dresse Casablancas de sa voix éternellement fatiguée sur Not the Same Anymore…
The New Abnormal est bien une sorte d’anomalie : l’album d’un groupe qui a été has been dès son second album, mais reste, assez inexplicablement, chéri de (presque) tous. Et qui n’a toujours aucune idée de la bonne manière de répondre à cette affection.
Eric Debarnot