Le jeune cinéma espagnol visant une efficacité narrative et commerciale « à l’américaine » peut compter sur Netflix pour le produire. Mais est-ce toujours pour le meilleur ? Réponse mitigée avec Chez Moi…
L’intérêt de Netflix pour l’Espagne comme terreau d’un possible cinéma populaire mais « d’auteur » n’est plus à confirmer, et Hogar (soit « Foyer », plutôt que « Chez Moi ») est un bel exemple des points forts, mais aussi des déficiences de la stratégie artistique de la plateforme, probablement – et paradoxalement – dues à une trop grande liberté artistique laissée à de jeunes créateurs manquant encore de maturité et / ou d’expérience ! Car ce qui fonctionne avec des Coen Bros, un Baumbach ou avec un Scorsese n’est sans doute pas si bon que ça quand on en est encore au début de sa carrière de réalisateur ou de scénariste.
Prenons dans ce cas deux frères, Àlex et David Pastor, qui ont l’ambition de contrôler leurs films, dont ils écrivent eux-mêmes les scénarios, donnons-leur les moyens de cette ambition, avec un casting de choix – en premier lieu le brillant Javier Gutiérrez – et les moyens matériels d’une mise en scène techniquement soignée, et… attendons le résultat ! Un résultat qui, comme trop souvent avec cette approche « hands off » de la plateforme, sera bien en-dessous de ce qu’on aurait espéré d’un sujet aussi pertinent…
Car Hogar traite a priori de la dégringolade sociale d’un cadre ayant atteint la limite d’âge dans sa profession de publiciste, sujet parfaitement circonscrit dans les 15 premières minutes du film, excellentes. Et du refus de cette « chute », qui va amener un homme à la manipulation, puis au crime, pour pouvoir rester coûte que coûte fidèle à l’image que les autres ont de lui : appartement luxueux dans un beau quartier de Barcelone (le fameux « foyer »), voiture allemande de prestige, fils étudiant dans un collège privé réputé, etc. Tout cela est très bien, mais Hogar semble balancer à mi-film son sujet pour se laisser aller à la description assez convenue du trajet d’un psychopathe, en conjuguant tension – efficace, grâce à une mise en scène impeccable – et « fascination » : clairement, le modèle choisi par Gutiérez est l’interprétation d’Anthony Hopkins dans le « Silence des Agneaux », ce qui est une noble ambition, mais n’est absolument pas pertinent ici par rapport au thème du film.
Pire encore, le scénario se met à accumuler allègrement coïncidences bien pratiques, invraisemblances que l’on nous fait avaler en passant le plus vite possible à autre chose, et surtout, ce qui est très désagréable, un liste excessive des déviances contemporaines : pédophilie, violences domestiques, addictions, harcèlement professionnel et scolaire,… n’en jetez plus !
Hogar se clôt habilement sur un anti-happy end très satisfaisant, et l’évocation facile d’une possible répétition de ce processus pervers dont nous avons été témoins. Mais, malgré le côté indéniablement plaisant d’un thriller bien mené, il nous est finalement bien difficile de nous souvenir de quoi les Frères Pastor nous ont parlé.
Eric Debarnot