Ce n’est pas parce qu’une musique nous rappelle immédiatement des choses déjà entendues avant, ni parce qu’elle choisit de nous bercer dans la douceur suave de réflexions nostalgiques qu’elle ne pourra pas acquérir une place importante dans notre existence. La démonstration avec ce beau If You’re Dreaming d’Anna Burch.
Il faut bien reconnaître que l’un des immenses progrès que le XXIème siècle a apporté au Rock, c’est la claire prédominance des femmes en première ligne de la créativité musicale… même si l’on est bien obligé de constater, au milieu de tous ces nouveaux artistes féminins ou groupes « mixtes », la survie obstinée des dinosaures machistes d’une autre époque. Bon, toujours est-il que l’on surveille de près depuis quelques années les nouvelles voix féminines s’élevant en particulier de l’autre côté de l’Atlantique, et que, en 2018, nos antennes avaient réagi à la parution de Quit the Curse, le premier album de la jeune auteure-compositrice-interprète de Detroit Anna Burch. Deux ans plus tard, la voilà qui publie If You’re Dreaming, son second effort, une très jolie œuvre qui rassemblera aisément tous les suffrages de celles et ceux d’entre nous qui plébiscite une certaine légèreté élégante de l’indie rock des années 90, mais décevra peut-être les autres, attendant quelque chose de plus marquant.
Expliquons-nous : Can’t Sleep, parfaite introduction électrique et mélodieuse, marque une évolution notable par rapport au son du premier album, une sorte de retour très déterminé vers une bedroom pop introspective qui fit notre régal il y a plus de vingt ans. On est forcément emballés – comment ne pas l’être par cette voix féminine nonchalante comme par les « ooh ooh ooh » addictif du refrain ? On se dit qu’on tient là la confirmation du talent d’Anna Burch, et peut-être l’un des albums qui nous tiendra chaud au cœur tout au long de la traversée du désert de solitude que la planète toute entière a entamée : « If there is someone to love / Is that what you’re dreaming of? »… Mais les choses ne sont, bien entendu, pas aussi simples…
Car If you’re Dreaming est un disque qui hésite entre le soleil – comme dans le sucré et presque (doucement) lyrique Party’s Over, contredisant le « I’m so Tired » énoncé par Anna – et une obscurité perçue avant tout comme rassurante, reflétant parfaitement l’image de la pochette… Et peu à peu, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans l’album, un sentiment d’introspection nonchalante nous envahit, au point d’ailleurs que le vilain reproche de « l’insignifiance » pourra être fait à Anna par les plus impatients d’entre nous. Les textes des chansons sont d’ailleurs plus construits à partir d’images simples, innocentes, que particulièrement lourds en signification : l’évolution de If you’re Dreaming, de son début plus tendu, plus anxieux, vers une forme de sérénité et d’évidence privera l’album de l’impact émotionnel que l’on attend (trop ?) systématiquement d’une œuvre artistique.
Ceux autour de nous qui aiment cet album admettent ne pas avoir grand-chose à en dire. Et ne pas vraiment comprendre pourquoi il s’est peu à peu imposé au fil des premières écoutes comme un compagnon tendre et attentif à des moments de solitude et de réflexion. Et si l’énigme – bienveillante, sans nul doute – de cette évidence largement insaisissable était finalement ce qui caractérise cet album, ce qui le distingue franchement des autres.
La magie diffuse des notes légères de piano électrique du très beau Tell Me What’s True ne renferme aucun secret effrayant, elle nous permet simplement d’exprimer ces doutes qui nous saisissent tous lorsque la solitude nous plonge dans une douce mélancolie, et que nous tendons la main dans l’obscurité vers une présence amoureuse dont nous ressentons la tendre nécessité : « Don’t go, I need you / To tell me what is true / My perspective’s skewed / Don’t know what to do ». Rien de révolutionnaire là-dedans. Mais une justesse de ton, une sorte de force intime qui ne sont pas si courantes que ça.
De quoi nous faire tenir le coup en attendant des jours meilleurs. En attendant le troisième album d’Anna Burch.
Eric Debarnot