Il y a des mondes que l’on porte à l’intérieur, des endroits où nous pouvons retrouver une part de soi inaccessible et surprenante, comme le raconte cette ravissante BD jeunesse où rêve et réalité se mêlent…
Olive, 17 ans a une vie intérieure très intense. Elle s’est créé un monde imaginaire qu’elle visite à volonté. Mais son quotidien terrestre est bousculé par l’arrivée de Charlie, une fille extravertie avec qui elle doit partager sa chambre à l’internat. Plus grave encore : un mystérieux spationaute débarque par surprise dans son monde imaginaire !
Rêverie intérieure
La scénariste Véro Cazot a écrit auparavant le très élégant Betty Boob en 2017 et le très poétique Les Petites Distances en 2018. Chacune de ces histoires raconte à sa façon l’intime et sa beauté, servie à chaque fois par des dessins aux traits raffinés. Cette fois-ci, c’est Lucy Mazel qui est associée aux dessins pour des traits qui parviennent à décrire la vie d’une adolescente avec la sobriété, le désordre vivant des menus détails, l’expressivité des silhouettes et des visages avec la délicatesse qui convient à leur jeunesse. Elle y ajoute des éléments discrets qui deviennent rapidement des signes que le lecteur reconnaît pour traduire un état d’esprit. Illustrer une vie intérieure n’est pas chose aisée en soi dans la réalité. Dans le monde imaginaire, scénariste et dessinatrice nous invitent au voyage intérieur, à la rêverie de façon imaginative et drôle à la fois, où chacun peut retrouver une part d’enfance et des idéaux adultes, typique de cet âge de transition qu’est l’adolescence. Cette idée du passage est redoublée par ce personnage, Olive, qui ne cesse de passer du monde réel au monde imaginaire d’une case à l’autre, d’une planche à l’autre. L’histoire se tisse comme une pelote de laine et le dessin suit la rondeur rafraîchissante du propos.
Des signes pour guider
Le lecteur entre en lecture ici comme dans un rêve. Il y a le début de l’histoire, puis une ellipse qui présente Olive, cette adolescente à l’imaginaire foisonnant. Cet imaginaire forme un refuge récurrent qui abrite ses pensées comme il l’isole des autres. Olive est dans la Lune. Littéralement. Elle plonge fréquemment dans ses pensées pour rejoindre son monde et disparaître de la réalité autour d’elle. Ou pour le moins c’est le monde qui l’entoure qui disparaît à ses yeux, quand son monde intérieur happe son attention, sa présence. Elle se fait absente au monde réel.
Celui-ci présente d’ailleurs sa laideur dans les stigmatisations occasionnelles dont fait l’objet Olive, les autres ne se privant guère de qualifier d' »autiste » cette adolescente qui ne ressemble guère aux autres. Ou qui ne se lie pas aux autres à un âge où la socialisation et les identifications réciproques constituent un moyen de trouver sa place, de se construire cette place parmi les autres. Olive est plus intéressée par ce qui vit en elle, par le monde intérieur qu’elle s’est construit, cette bulle où elle peut vivre de façon sécurisée. L’histoire nous montre tout en discrétion le fil à suivre, tel le fil d’Ariane d’un labyrinthe dans un dédale délicat. Pas de panneaux indicateurs grossiers pour nous guider, nous pointer du doigt ce qu’il s’agit de voir. L’histoire et ses dessins nous laissent voyager et nous fournissent des signes discrets pour nous guider, où comme dans un rêve l’essentiel semble résider dans l’insignifiant afin de saisir l’essentiel de l’intime codé qui se cache en soi.
Une bulle de lecture
Ce premier tome d’Olive nous transporte d’emblée dans la vie de cette adolescente peu ordinaire. Le propos subtil se tient bien de la caractériser, comme cela se pratique parfois en ce moment où les diagnostics communs sont posés sur des personnages pour ajouter une forme d’authenticité saupoudrée de revendication. Ici, Olive ne souffre pas de ce travers, et traverse justement l’histoire détachée des étiquettes rapides, et si cela se poursuit dans cette veine, un écueil aura été joliment évité, préférant au diagnostic posé la poésie et à la caricature inévitable une justesse des situations. Olive conserve ainsi, en dépit de sa tenue orange et de sa Lune bleue, une couleur indéterminée et prometteuse. C’est un rendez-vous en Lune inconnue, un voyage entre dédale et rébus, entre une histoire qui voile encore ses origines. Olive arrive dans nos lectures comme une astronaute tombée du ciel, dans sa tenue matelassée, son apesanteur conservée, son astre à portée de rêve. Elle nous montre à l’heure actuelle que les plus étranges voyages sont toujours, quand bien même ils se nourrissent de l’ailleurs, intérieurs.
Anthony Huard
Olive, tome 1 : une lune bleue dans la tête
Scénario : Véro Cazot
Dessin : Lucy Mazel
Editeur : Dupuis
12,50 € – 56 pages
Parution : 6 mars 2020
Olive, tome 1 : une lune bleue dans la tête – Extrait :