Coup de projecteur en trois axes sur La planète des singes de Franklin J. Schaffner, pour redécouvrir le film originel de l’une des plus ambitieuses sagas de l’histoire du 7e art, et partager en famille une référence intellectuelle majeure du cinéma de science-fiction.
Biographie
Metteur en scène méticuleux, élu président de la Directors Guild of America, (syndicat professionnel puissant, qui représente les intérêts des réalisateurs de télévision dans l’industrie du cinéma américain) de 1987 jusqu’à sa mort en 1989, à quoi rêvait ce fils de missionnaires né à Tokyo en 1920, quand il étudiait sur les bancs de la fac de droit, à Columbia, quand il se retrouvait au combat pendant la Seconde Guerre mondiale ? On sait seulement qu’il débute sa carrière professionnelle début des années 50 à la télévision et réalise des directs pour les networks. Il devient le conseiller télévisuel de John Fitzgerald Kennedy de 1961 à 1963. En parallèle, il effectue des captations de pièces de théâtre pour le petit écran, notamment Douze hommes en colère, retranscrit cinématographiquement en 1957 par Sidney Lumet. Franklin J. Schaffner termine son premier film, The Stripper, en 1963, puis se fait remarquer deux ans plus tard avec un long-métrage moyenâgeux, Le seigneur de la guerre (1965), qui le lie d’amitié avec l’acteur Charlton Heston. Ensemble, ils s’engagent dans la folle et longue aventure de La planète des singes qui débouchent en février 1968 sur un triomphe critique et commercial. Fort de l’immense succès de la Planète des Singes, et aidé par un scénario de Francis Ford Coppola, Franklin J. Schaffner s’attaque à la biographie du controversé général Patton Jr., qu’il réalise. Interprété par un formidable George C. Scott, le film récolte 7 Oscars en 1971 (dont ceux du meilleur film, réalisateur, acteur…). En 1973, Papillon sort de son cocon et s’épanouit grâce à une adaptation spectaculaire et romancée de l’autobiographie d’Henri Charrière, et l’interprétation habitée de deux immenses acteurs : Steve Mc Queen et Dustin Hoffman. Par la suite, il livrera en 1978 un thriller, Ces garçons venaient du Brésil, interdit aux moins de 16 ans et joué par Laurence Olivier et Gregory Peck. Le cinéaste décède le 2 juillet 1989 à Santa Monica alors qu’il achève Welcome home, trouvant tout là-haut la place qu’Hollywood ne lui a pas totalement attribué.
Contexte
En 1957, la chienne russe Laïka est mise en orbite. Les Etats-Unis, eux, choisissent des singes pour leurs expérimentations. Pour le premier vol sub-orbital habité, en 1959, la NASA envoie Baker (saïmiri), accompagnée d’Able (macaque rhésus). Ham (chimpanzé) prépare le premier voyage orbital humain. Mais les Russes ont un coup d’avance : le 12 avril 1961, Youri Gagarine devient le premier homme dans l’espace ! Deux ans plus tard, l’écrivain français Pierre Boulle sort un roman de science-fiction intitulé La planète des singes, inspiré d’une observation des gorilles en zoo. Le producteur Arthur P. Jacobs achète les droits de l’ouvrage et engage Rod Serling, créateur de la célèbre série télévisée La Quatrième Dimension (1959-1964), pour combiner le récit du livre et un scénario tiré d’un épisode, La flèche dans le ciel, écrit par Madelon Champion. Épuisé par la multiplication des scripts Rod Serling cède sa place à Charles Eastman.La guerre froide sévit, la menace nucléaire pèse. Des missiles russes installés à Cuba sont pointés vers les Etats-Unis. Arthur P. Jacobs contacte Franklin J. Schaffner, embauche Charlton Heston, convainc la 20th Century Fox (en délicatesse financière après l’onéreux Cléopâtre) et renforce l’écriture en impliquant Michael Wilson (adaptateur pour le cinéma du roman de Pierre Boulle, Le pont de la rivière Kwaï). Le tournage débute en 1967, alors que les Américains s’enlisent au Vietnam. Après sa sortie en 1968, les suites sur grand écran (rarissime à l’époque, car très mal vu) se multiplient. On en compte quatre. Puis, en 2001, Tim Burton revisite ce film. Deux autres avatars sortent : Rupert Wyatt signe l’épatant La planète des singes : les origines (2011), Matt Reeves réalise La planète des singes : l’affrontement (2014) et l’impressionnant La planète des singes : Suprématie (2017). L’immense succès du film originel influence THX 38 de George Lucas en 1971, Soleil vert de Richard Fleischer en 1973 et résonne dans Bienvenue à Gatacca d’Andrew Niccol en 1997.
Désir de voir
New-York, 8 Février 1968, le monde découvre La planète des singes sur grand écran, cauchemar darwinien : des singes civilisés gardent en esclave des humains primitifs ! Dont un astronaute américain désabusé (Charlton Heston) parti à la recherche d’une autre forme de vie en laissant ce message : «Les hommes qui nous ont envoyés faire ce voyage sont morts depuis longtemps. Vous qui lisez mes mots aujourd’hui êtes une espèce différente. Une espèce meilleure j’espère. Je quitte le 20° siècle sans regrets… Dites-moi pourtant, l’homme, cette merveille de l’univers, ce paradoxe glorieux qui m’a envoyé visiter les étoiles, se bat-il encore contre son frère ? Est-ce qu’il laisse toujours mourir de faim les enfants de son voisin?».
Le tournage se déroule en décors extérieurs, (Colorado, Arizona, Californie). Visuellement c’est un choc esthétique. Musicalement c’est un audacieux ébranlement auditif. Jerry Goldsmith compose à l’aide d’instruments particuliers – ainsi une corne de bélier – des morceaux déroutants dont l’echoplex permet de produire un son différé pour accentuer l’effet de l’écho. John Chambers crée des prothèses, laissant la possibilité à l’acteur, maquillé pendant plusieurs heures, d’exprimer des émotions. Son travail sera récompensé par un Oscar d’honneur en 1969. L’équipe des effets spéciaux utilise la technique du cache peint, le décorateur s’inspire d’habitations troglodytes pour la « Cité des Singes ». La communauté de ce «nouveau monde» est très hiérarchisée : les gorilles sont soldats et ouvriers, les chimpanzés personnifient les scientifiques et les intellectuels, les orangs-outans forment l’élite politique et religieuse. Cette représentation allégorique de la réalité dénonce la politique, la religion, l’esclavage, le colonialisme, la ségrégation, la menace nucléaire…Vision pessimiste qui trouve son apogée dans l’une des scènes finales les plus saisissantes de l’histoire du 7e art. Aujourd’hui, cette fable philosophique imprègne avec la même force nos mémoires et la culture cinématographique dans un espace-temps où tous les chemins restent encore possibles. Un questionnement continue de nous tarauder : «Et si l’homme causait sa propre perte, quelles espèces pour le remplacer ?». Le mythe de La planète des singes, lui, survivra bien après nous, au fond de la vallée…
Sébastien Boully
Impressionnant! …Urgence pour moi de combler cette lacune impardonnable dans ma cinémathèque personnelle!
Lacune comblée! Merci pour la mise en valeur de ce film indispensable, nécessaire de par ses réflexions intemporelles sur l’espèce humaine et son évolution… un autre cauchemar de Darwin! … en espérant que le choc de la séquence finale ne soit pas visionnaire, parce que je connais un C.. qui serait bien capable d’appuyer sur le bouton……………..