Petite série suédoise (trop) discrète mise en ligne par Netflix en mars, Kalifat s’avère une très belle réussite sur le sujet difficile de la radicalisation islamiste, traitée du point de vue féminin.
La montée de la radicalisation islamiste chez les jeunes, immigrés ou non, et de leur basculement toujours possible dans le terrorisme – fuite en Syrie ou attentats en Europe – est l’un des défis les plus graves que les démocraties aient rencontrés au cours de la dernière décennie : le traiter dans une fiction commerciale est d’autant plus risqué qu’il est facile de tomber dans la simplification raciste et la démagogie populiste, comme nombre de politiciens européens de tous bords.
Rajouter à cela la dose de suspense et d’action nécessaire au bon fonctionnement du scénario destiné à « accrocher » les téléspectateurs pendant 8 épisodes de 45 minutes tient de la mission impossible, tant les risques de dérapages sont élevés. Il faut donc chanter bien fort les louanges de Kalifat, la série suédoise centrée sur les agissements criminels de l’Etat Islamique, en Syrie comme en Europe : si ce n’est pas « la Série de l’Année », c’est une belle réussite, qui dépasse même en justesse et en pertinence les efforts de mastodontes comme Homeland ou le Bureau des Légendes, en dépit de quelques incohérences et surtout d’un twist – heureusement pas « final » – capillotracté n’ajoutant rien à la peinture faite jusque là d’une société suédoise dépassée, tant au niveau structurel qu’individuel, par la menace islamiste.
Le choix fait par Wilhelm Behrman et Niklas Rockström, son scénariste, par ailleurs remarquablement tenu tout au long de Kalifat, est de centrer la série sur des personnages féminins forts, qu’ils soient victimes ou bourreaux, et de parier sur une interprétation jamais caricaturale, toujours empathique vis à vis d’êtres réels, à la souffrance desquels on croit quasiment toujours. S’il y a d’ailleurs des personnages moins réussis, moins complexes, ce sont toujours des personnages masculins, comme les deux terroristes suédois « pure souche » qui sombrent dans la caricature, comme le policier « side kick » qui n’est que fonctionnel pour le récit, ou comme – et c’est plus ennuyeux – comme le patron de l’agence de renseignement, réduit à un cliché facile de manipulateur sans conscience. Il faut à l’inverse souligner cette remarquable création qu’est ici « The Traveller », l’agent infiltré sans état d’âme, le vecteur de contamination si habile, qui matérialise sans excès inutiles aussi bien la séduction de la rébellion que la détermination inhumaine de ces combattants modernes que sont les djihadistes.
Sans avoir recours à ces effets d’image raffinée et de mise en scène sophistiquée typique des séries actuelles – et qui dénotent finalement une sorte de complexe vis à vis du « vrai cinéma » -, Kalifat construit sa force sur sa proximité constante avec ses jeunes filles et ses femmes en souffrance, plus ou moins soumises, plus ou moins perdues dans une société profondément machiste – que cela soit en Suède ou en Syrie, que leur univers soit la démocratie occidentale ou le « califat » totalitaire – au sein de laquelle elles peinent, non seulement à s’affirmer, mais souvent simplement à exister. L’excellent dernier épisode (si l’on excepte ce fameux « twist » inutile), qui refuse au spectateur la satisfaction d’une conclusion en noir et blanc, mais préfère des demi-victoires et des semi-défaites, est une conclusion idéale à cette série sensible – voire bouleversante par instants -, intelligente (parce qu’elle respecte son sujet, et lui fait justice sans le simplifier)… Et également une possible introduction à une seconde saison, car, et n’ayez aucun doute là-dessus, cette guerre-là continue.
Eric Debarnot