Certains disques s’installent dans un entre-deux, un petit quelque chose d’exaltation et de déception comme A Temporary Soothing, second disque de la norvégienne Siv Jakobsen. On aimerait entendre plus du charme des pays nordiques dans cette Pop au goût de déjà entendu.
La destinée d’un disque tient à peu de choses, le chemin qu’il prendra pour atteindre notre sensibilité est toujours incertain, cerné d’embûches. Il y a les disques dispensables, les compagnons éternels et ceux qui sont dans l’entre-deux. Attachants parce qu’un peu maladroits, parce qu’un peu humains. Un charme qui doit autant à la sincérité du geste qu’à la fragilité de l’acte, aux références qui se font sentir, au poids dont il faudra se délester pour se trouver soi, une personnalité singulière que l’on sent tremblotante en germes dans des chansons un peu inabouties.
Siv Jakobsen, vous l’avez peut-être découvert un peu par hasard en 2017 avec The Nordic Mellow. Si l’on devait tisser une parenté, on pourrait parler de Van Morrison qui discuterait avec Stina Nordenstam ou Kate Bush. Il y a pire lien de famille me direz-vous et bien sûr, vous aurez raison. Mais ce qui met la musique de la norvégienne dans cette catégorie d’entre-deux, c’est une absence de volonté à vouloir prendre des risques. Les mélodies et les chansons sont moelleuses et confortables comme l’espérance d’un lit chaud un soir d’hiver mais on aimerait trouver un léger soupçon de folie à ces petites choses. Vous me direz que l’on n’attend pas de folie d’un disque pop et là je ne serai pas d’accord avec vous. Justement chez Stina Nordenstam ou Kate Bush dont on sent la présence tutélaire sur l’univers de la jeune femme, il y a cette frénésie créative que l’on ne sent que trop rarement sur un disque certes très agréable mais finalement assez anodin. C’est comme si Siv Jakobsen, éloignée sur sa terre natale de Norvège, cultivait un complexe d’infériorité vis-à-vis de la Pop Européenne et cherchait à la copier. Pourtant, c’est quand elle s’en éloigne qu’elle est la plus pertinente et la plus passionnante. Prenez Fraud Failure qui emprunte quelque peu aux codes d’un folklore nordique ou Anywhere Else qui rappelle un peu le registre de la voisine suédoise Anna Ternheim.
Tout le disque est pétri d’une belle sensibilité mais de peu d’originalité. Il faudra faire preuve de patience avec Siv Jakobsen car là où elle tient un atout majeur dans son jeu, c’est par sa voix à l’expressivité magistrale, parfois boudeuse, parfois gracile mais toujours singulière. Là où le bât blesse particulièrement, c’est peut-être dans une production qui cherche à trop briller comme sur Island et ses multiples détails qui finissent par dissiper l’attention. Là où la norvégienne est la plus audacieuse, c’est dans une épure, un choix acoustique qui convient mieux à son chant, même si cela peut paraître prévisible de prime abord comme ce Only Life qui nous bouleverse sans le dire. Dans les moments les plus anecdotiques, elle rappelle Dolores O’Riordan et ses Cranberries, dans d’autres Gemma Hayes. Le cul entre deux chaises toujours, la norvégienne pioche autant dans les racines du Rock indépendant que du côté du pas meilleur de la variété. Il lui faudra choisir son camp. Peut-être trouvera-t-elle des éléments de réponse dans un nouvel entre-deux, assumer une ligne claire et une naïveté tout en insufflant plus de malice et de distance à ses compositions.
Ce qui sauve un disque de l’oubli tient à peu de choses, ce qui fait que l’on continuera de suivre un artiste malgré des promesses pas toujours tenues tient à peu de choses également. Pour A Temporary Soothing, il tient en un titre, From Morning Made To Evening Laid où Siv Jakobsen est littéralement touchée par la grâce. Remonte à l’esprit l’image de The Gathering période Anneke Van Giersbergen et plus particulièrement l’album Souvenirs (2003). la norvégienne partage bien des choses avec la chanteuse hollandaise, non seulement une proximité vocale assez troublante sur ce titre mais également un caractère bien trempé qui s’affirme enfin sur ce titre, une folie que l’on espérait et qui se déploie ici. On peut d’ailleurs dire que la fin du disque est largement supérieure dans ses textures que le début de A Temporary Soothing. I Call It Love est troublant de beauté avec ses accents à la Elizabeth Frazer.
Pour l’heure, on se satisfera d’un disque agréable ou plutôt on ne s’en satisfera pas totalement. On sera parfois irrité par le manque de prise de risque, irrité car conscient du beau potentiel que l’on entend dans la musique de Siv Jakobsen. Il faudra lui donner le temps peut-être…
Greg Bod