Après la déception de Annihilation, Alex Garland retrouve la grâce avec Devs, une série pas si éloignée de Tales from the Loop.
Depuis qu’il s’est lancé dans la réalisation avec Ex Machina, Alex Garland a outrepassé son statut de scénariste à succès associé à Danny Boyle, un peu plus audacieux dans sa manière d’investir les thématiques de l’intelligence artificielle et plus largement de la philo appliquée à la SF. Certes, Annihilation se prenait un peu les pieds dans le tapis, mais on n’était pas prêt à lâcher le bonhomme, surtout lorsqu’une chaîne lui donne les coudées franches pour une série de huit épisodes qu’il écrit et réalise.
Devs signe d’emblée des retrouvailles avec l’atmosphère d’Ex Machina, par cette photo impeccable au point d’inquiéter, cette douceur climatique et ce privilège accordé aux surfaces, alors qu’on sait pertinemment que c’est sous les capots que ronronnent des processeurs aux applications inquiétantes. La Silicon Valley dans toute sa splendeur, en somme, dans une imagerie laiteuse très dans l’air du temps, et qui rejoint en cela l’esthétique à l’œuvre dans une autre série contemporaine, Tales from the Loop, d’un même format (8 épisodes) et aux thématiques très proches. La même neurasthénie hypnotique s’empare du récit, où les personnages brillent par leur mutisme et une forme d’acceptation qui révèle davantage d’une sagesse lucide que d’une faiblesse passéiste.
Car c’est bien là le point central du récit, qu’il faudra volontairement laisser le moins défloré pour que fonctionne son charme noir : sur l’arc général d’un thriller d’espionnage high tech, le récit greffe très vite des problématiques bien plus vastes, questionnant le déterminisme, la nature du deuil ou le libre arbitre. La dynamique, très prometteuse au départ, accuse un certain ventre mou, autour des épisodes 4 et 5 notamment, où le remplissage et le formatage d’une intrigue plus galvaudée semblent emporter la partie, mais ce ne sera qu’une crainte passagère. Garland reprend son cap, et navigue dès lors avec aisance sur les eaux troubles d’un récit qui revisite un futur écrit à l’avance.
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Toute la lenteur mélancolique de la mise en scène entre en réelle osmose avec les thématiques explorées : inertie des mouvements de caméra, fascination plastique pour cette alcôve centrale dorée et feutrée, accompagnement de figures proches des statues – autant de procédés qui, bien souvent, rappellent l’esthétique de Refn, la perversité en moins. La musique (joie nostalgie des retrouvailles avec l’hypnotique Officium de Garbarek) accroît cette léthargie liturgique, dans quelques passages clipesques de haute teneur, convoquant notamment Low et sa tristesse élégiaque.
Autant d’éléments qui permettent d’outrepasser le simple frisson SF, et auxquels s’ajoute l’idée de désactiver le traditionnel enthousiasme lié à la découverte, autre point commun avec Tales from the Loop. Pour réellement toucher, il s’agit de penser à l’après, et aux conséquences. Dans cette perspective, l’Olympe est triste, et les dieux semblent davantage pétrifiés par leur création, et paradoxalement condamnés à regarder dans le rétroviseur, parce qu’humains, encore et toujours trop humains.
Sergent Pepper